En 2009, la Guadeloupe a connu une grève générale sans précédent sur l’île. Emmenée par le collectif « Lyannnaj Kont Pwofitasyon » (LKP), cette grève a mobilisé bien au-delà des milieux militants traditionnels. Outre les mesures sociales qu’elle a permis d’obtenir, elle a été l’occasion de formuler avec une clarté exemplaire certains des enjeux fondamentaux qui traversent les rapports sociaux en Guadeloupe comme dans l’ensemble des Antilles françaises : aberration des structures économiques, implicites raciaux des systèmes de pouvoir, complexité des équilibres politiques. C’est ainsi peut-être avant tout la persistance de l’héritage colonial qui a été crûment mise en lumière.
Ary Gordien est chargé de recherche au CNRS, auteur notamment de « Guadeloupe, l’après LKP : Anticolonialisme, identité et vie quotidienne » (REVUE Asylon(s), N°11, mai 2013). Nicolas Rey est enseignant-chercheur à l’Université de Guadalajara (Mexique), notamment co-auteur avec Frédéric Gircour de LKP, Guadeloupe : Le mouvement des 44 jours (Éditions Syllepses, 2010).
Mouvements (M.) : La plateforme du « Lyannnaj Kont Pwofitasyon » (« Collectif contre l’exploitation », LKP) comprenait 146 revendications économiques, sociales, politiques et culturelles. Le système auquel le LKP s’est attaqué recouvre ainsi un spectre très large : comment définiriez-vous la notion de « pwofitasyon » ? Ce système a-t-il été durablement remis en cause ?
Nicolas Rey (N.R.) : La pwofitasyon, pour moi, cela va au-delà du simple concept d’exploitation : c’est lorsque pour continuer à tirer des bénéfices exorbitants, on pousse le bouchon un peu trop loin, quitte à ne plus permettre aux gens de surnager. Le Lyannaj Kont Pwofitasyon est né précisément contre la vie chère, qui étranglait les plus faibles à l’issue de la crise mondiale de 2008. Le terme de « pwofitasyon » est difficile à traduire, notamment parce qu’il semble indissociable de celui de « lyannaj ». Le LKP, c’est le vecteur commun entre tous les secteurs de la société exploités, une jonction entre les actions passés, présentes mais aussi futures. Le LKP est en soi, par définition, une dynamique de lutte.
Ary Gordien (A.G.) : Le terme de « pwofitasyon » existait en créole bien avant la création du LKP. Raymond Gama, un historien qui a été l’un des membres importants du LKP, l’utilise par exemple déjà dans un livre qu’il a co-écrit en 1985 avec Jean-Pierre Sainton, professeur d’histoire à l’Université des Antilles[1]. Ce livre traite d’un mouvement des ouvriers du bâtiment en mai 1967, qui avait donné lieu à une répression sanglante : le bilan officiel fait état de 8 morts, mais Georges Lemoine, à l’époque secrétaire d’État aux DOM-TOM, évoque le chiffre de 87 morts dans une interview donnée à RFO Guadeloupe le 14 mars 1985 (Gama et Sainton parlent quant à eux d’une quarantaine de morts). L’un des éléments déclencheurs de ce mouvement avait été une altercation entre un artisan blanc et un mendiant noir. Gama et Sainton commentent cette altercation en écrivant que « les Guadeloupéens n’aiment pas la pwofitasyon ». Ce terme, qui prédate donc le LKP, désigne une combinaison entre profit et exploitation, c’est un terme qui possède à la fois une dimension socioéconomique, à savoir anticapitaliste et anticolonialiste, et une dimension morale, interpersonnelle, comme le souligne d’ailleurs bien Christine Chivallon. Le terme de « pwofitasyon » sert à dire à la fois l’injustice économique totale que subissent ces territoires périphériques et vulnérables que sont les Antilles francophones, situation qui permet la génération de surprofits par certain·es, et le vécu plus subjectif de cette injustice, l’idée qu’ « on profite de nous ». Chivallon note qu’en 2009, Rue89 avait traduit « Liyannaj Kont Pwofitasyon » par « Debout contre les profiteurs », tandis que l’Humanité parlait de « Rassemblement contre l’exploitation outrancière ».
N.R. : C’est le prix de l’essence qui a déclenché les premières mobilisations. La façon dont est fixé ce prix aux Antilles et en Guyane est particulièrement typique du système économique aberrant de la « pwofitasyon ». Il n’y a qu’une seule raffinerie aux Antilles françaises, la SARA (Société anonyme de la raffinerie des Antilles), implantée en Martinique. Afin de limiter les abus dus à cette situation de monopole, le prix de l’essence est fixé par arrêté préfectoral, après négociation avec la SARA. Mais ces négociations ont lieu dans l’opacité la plus complète, et les pouvoirs publics ont fermé les yeux pendant des décennies sur de nombreuses pratiques abusives de la SARA, qui lui ont permis d’augmenter ses marges de 44% entre 2001 et 2008. Dès 2004, Philippe Jouve, à l’époque Secrétaire des marins-pêcheurs du Nord Basse-Terre, et qui deviendra ensuite délégué général du Syndicat maritime des pêcheurs artisans (SYMPA-CFDT), avait tenté d’alerter les pouvoirs publics sur ces abus. Il avait noté que les augmentations pratiquées par la SARA sur l’essence hors taxe étaient identiques aux augmentations toutes taxes comprises, ce qui est bien sûr anormal et très pénalisant pour les petit·es entrepreneur·euses comme les pêcheur·euses, dont les revenus d’activité sont immédiatement affectés par ces augmentations. En juillet 2008, un rapport officiel du CESR (Comité Economique et Social Régional), plus connu sous le nom de rapport Payen, du nom de son rapporteur, a confirmé les accusations de Philippe Jouve en reprochant à la SARA et à ses actionnaires (Total 50%, Rubis 24%, Esso 14,5%, Texaco 11,5%) de créer « une situation anti-économique et anti-concurrentielle » qui conduisait à un prix de raffinage « le plus élevé d’Europe ». Le rapport prenait acte d’une longue liste d’abus, notamment le fait qu’une taxe était prélevée sur chaque litre d’essence stockée par la SARA pour en financer les infrastructures, alors que celles-ci étaient déjà financées par des subventions de l’Union européenne, que les augmentations opérées ne coïncidaient pas avec les fluctuations des prix international du baril de pétrole, ou encore le curieux fonctionnement de l’AIP (Accord interprofessionnel pétrolier), qui prévoyait la constitution d’un fonds par prélèvement sur les carburants distribués destiné à assurer le versement d’une prime aux gérant·es de station-service sortant·es, mais qui octroyait cette prime aux gérant·es au terme de chacun de leur contrat, que les gérant·es soient reconduit·es ou non. Jean-Marie Brissac, militant CGTG (branche guadeloupéenne de la CGT), membre de la commission Payen et très actif au sein du LKP, a enfoncé le clou en février 2009 en obtenant que le directeur des douanes admette que la SARA importait des produits finis : elle était donc bien loin de raffiner elle-même tout le pétrole qu’elle importait, sans compter qu’il était impossible d’identifier la provenance du brut importé (alors que le prix du baril varie évidemment selon le pays exportateur) et que la compagnie engrangeait des « marges collatérales » en jouant sur la dilatation du produit : une directive de l’UE imposait que l’essence soit taxée à 15 degrés Celsius, or en Guadeloupe celle-ci était livrée à 25 degrés Celsius en moyenne. De plus, par une formidable coïncidence, toutes les stations-service de l’île appliquaient scrupuleusement le même prix à la pompe, sans que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’y trouve rien à redire.
C’est la question du prix de l’essence qui avait conduit à une importante mobilisation en Guyane quelques semaines avant que ne démarre le mouvement en Guadeloupe. Il y a eu onze jours de blocage, qui se sont terminés par un accord le 5 décembre 2008. Les Guyanais ont obtenu une baisse de 50 centimes du prix au litre du gazole, dont 20 centimes pris en charge par les pouvoirs publics et 30 centimes par la SARA. En Guadeloupe ensuite, les transporteur·euses routièr·es ont paralysé l’île du 8 au 11 décembre 2008, indépendamment du LKP, jusqu’à ce qu’un protocole d’accord concède une baisse d’environ 30 centimes sur le sans plomb. En contrepartie de cet accord, les collectivités territoriales ont dû consentir à verser 3 millions d’euros à la SARA, que l’État s’est engagé à rembourser. Pour le LKP qui venait de se former, c’était parfaitement inacceptable : on reprenait d’une main ce que l’on donnait de l’autre. Un appel à manifester a été lancé pour le 16 décembre, puis la décision de lancer une grève générale illimitée à partir du 20 janvier 2009.
Il y a donc un parallèle très simple et très fort entre ce qui s’est passé en Guadeloupe à l’époque et le mouvement des gilets jaunes en 2018, ou les révoltes au Chili et en Haïti en 2019-2020, toutes ces mobilisations reposant sur une augmentation du prix de l’essence ou des transports, sorte d’impôt indirect particulièrement injuste car touchant de plein fouet les petits revenus. Mais au-delà de la question du prix de l’essence, c’est toute la structure de l’économie guadeloupéenne qui pose problème. 93% des échanges commerciaux sont des importations et seulement 7% des exportations : les containers arrivent d’Europe remplis de produits manufacturés et repartent presque vides. On ne produit presque rien sur place, on exploite un peu de sucre et de bananes et on extrait quelques matières premières du sous-sol, c’est tout. On peut dire qu’on est passé d’une condition de captivité à celle de « marché captif », selon l’expression d’Alex Lollia, l’un des secrétaires généraux du syndicat Centrale des Travailleurs Unis (CTU). On entend parfois dire que ces territoires coûtent cher à la République, mais en fait ils rapportent beaucoup d’argent à certain·es. La Guadeloupe constitue un marché assuré, sans concurrence, pour les entreprises de bâtiment ou pour les grands groupes de distribution de la France hexagonale. Il n’est pas abusif de parler de blanchiment d’argent public. La mobilisation en 2009 a abouti en mars à la signature de l’Accord interprofessionnel régional sur les salaires en Guadeloupe, dit accord Bino, du nom du syndicaliste assassiné pendant la mobilisation. Le premier alinéa du préambule de cet accord souligne de façon significative que « la situation économique et sociale actuelle en Guadeloupe résulte de la pérennisation du modèle de l’économie de plantation ». La loi sur la départementalisation de 1946 a permis une plus grande égalité avec la métropole, puisque les Guadeloupéen·nes ont alors eu accès à une meilleure protection sociale. Mais le déficit en termes d’infrastructures reste chronique et le rattrapage économique est inexistant, faute de pouvoir bénéficier de conditions favorables à une production sur place réelle ou à des échanges commerciaux directs avec les pays du bassin naturel caribéen et latinoaméricain.
A.G. : À la dépendance aux importations venues d’Europe s’ajoute l’octroi de mer, une taxe qui sert à financer les collectivités locales et qui s’adjoint à toute une série de coûts qui pèsent sur le prix d’achat aux consommateur·rices. Le système économique en Guadeloupe reste marqué par l’histoire coloniale, notamment par un certain entre-soi d’une partie des élites économiques locales. Le système en place en Guadeloupe permet aux acteurs de certains domaines d’activités économiques de générer des profits sans respecter les principes de l’économie libérale, même si c’est souvent aussi le cas en France hexagonale et ailleurs dans le monde. La logique capitaliste elle-même produit bien évidemment de l’exploitation, mais on peut considérer que s’affirmer anticapitaliste en Guadeloupe, c’est en partie dénoncer la violation des règles mêmes du libéralisme économique par certains acteurs économiques locaux. À ce titre, on peut rappeler que l’auteur du rapport Payen est Didier Payen, entrepreneur blanc créole guadeloupéen affilié au MEDEF : lui-même critique un certain nombre de fonctionnements opaques dans l’économie guadeloupéenne également dénoncés par le LKP parce que, de son point de vue, ils faussent le principe du libéralisme économique. L’instauration et la perpétuation des aberrations du système économique guadeloupéen reposent très largement sur une sorte de complicité ou en tout cas d’inaction de la part de l’État central. S’il y a eu une évolution et une reconfiguration certaines des rapports de pouvoir sur l’île depuis la période de l’esclavage et de la colonisation, la situation économique ne peut absolument pas être détachée de décisions qui ont été prises par le passé et qui continuent d’être prises, ou de ne pas être prises justement, pour maintenir une relation de dépendance vis-à-vis de la France hexagonale. La SARA, notamment, a été créée par de Gaulle en 1969.
N.R. : On ne produit rien sur place pour la simple raison que l’État colonial a toujours eu peur qu’en devenant autonomes économiquement, ces territoires ne cherchent à obtenir leur indépendance. C’est de fait ce qui passé à Saint-Domingue, où le commerce avec les États-Unis avait connu un développement substantiel lorsque Toussaint Louverture, homme fort de cette colonie française à la fin du XVIIIe siècle, avait résolument emmené son peuple vers le chemin de l’indépendance, finalement obtenue par son lieutenant Jean-Jacques Dessalines en 1804. La France du Roi Soleil, qui avait restreint le commerce des colonies françaises avec la Hollande, avait déjà souffert d’une révolte en 1717 à la Martinique – dite révolte du Gaoulé – unissant petit·es et grand·es blanc·hes, flibustièr·es de Saint-Pierre, gens du peuple et noblesse. Ce soulèvement fut réprimé très légèrement par Louis XIV et ses représentants sur place, pour ne pas risquer de s’aliéner à tout jamais les habitant·es de cette précieuse colonie et de la perdre au profit des Anglais, ou d’une révolte noire opportune. En Guadeloupe, la même année, les colons s’étaient également soulevé·es sur la Côte-sous-le-vent contre l’imposition d’un droit d’octroi sur chaque esclave. Iels avaient par ailleurs réclamé le droit de construire des sucreries et de commercer avec l’étranger en cas de pénurie. Pour calmer les émeutièr·es, leurs doléances furent prises en compte, le gouverneur prenant finalement position en leur faveur. Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements français successifs ont toujours empêché tout processus sérieux d’intégration économique des Antilles avec leurs voisins immédiats ou avec d’autres puissances intéressées par cette zone. C’est une véritable chape de plomb. Il y a quelques années, Air Caraïbes a ouvert une ligne directe entre la Guadeloupe et Panama, mais elle a été fermée au bout de deux ans au prétexte qu’elle n’était pas rentable, alors que moi à chaque fois que je l’ai prise les avions étaient remplis. Peut-être y a-t-il eu aussi des pressions de la part des autorités étatsuniennes afin que la France ne vienne pas trop mettre son nez dans leur « arrière-cour ». On en reste à quelques initiatives timides d’intégration régionale, comme lorsqu’on a fait venir quelques médecins de Cuba lors de la crise du Covid, ou antérieurement lorsque les élu·es de gauche guadeloupéen·nes ont favorisé des échanges artistiques et littéraires avec l’île castriste. Des efforts plus ambitieux existent pourtant. Depuis 2005, le Venezuela d’Hugo Chavez a mis en place le programme PetroCaribe, qui consiste à proposer du pétrole à prix très attractif aux pays de la zone Caraïbe, et à engager le développement d’infrastructures diverses. 18 pays caribéens sont signataires de l’accord, mais un énorme scandale a éclaté en Haïti en 2018 lorsqu’on a appris que des responsables politiques et économiques du pays avaient détourné à leur profit la plus grand partie des fonds dégagés par ce programme d’aide. Il y aussi le CARICOM qui existe depuis 1973 et qui réunit maintenant 15 pays caribéens membres de plein droit, surtout anglophones, et 5 pays associés, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ayant demandé ce statut depuis le début des années 2010 grâce à la pression des élu·es locaux·ales sur l’État français. Cette demande est toujours en cours de traitement. Les territoires d’Outremer français font face à un double problème : il leur faut à la fois chercher à desserrer l’étau formé par la France depuis la colonisation, sans tomber dans un autre qui est celui de l’ogre étatsunien juste à côté. Il y a un vrai risque de se transformer en plaque tournante de la drogue, comme c’est le cas pour un certain nombre de petites îles anglo-saxonnes de la Caraïbe, ou de devenir un déversoir à touristes accostant depuis d’immenses bateaux de croisière ultrapolluants et clusterisés, malvenus en période de pandémie. L’homme aujourd’hui le plus recherché de France est d’ailleurs un trafiquant de drogue guadeloupéen, Joël Soudron, qui a beaucoup investi en Afrique francophone dans le commerce légal. Je ne dénonce pas un homme, mais un système : je vis au Mexique depuis 14 ans, à Guadalajara, la ville dont émane l’un des plus puissants cartels au monde, et je sais pertinemment que les grandes puissances comme les États-Unis ou la France connaissent parfaitement bien la route du trafic de drogue, qu’elles ne combattent pas réellement. Combien de bases militaires yankee en Amérique du Sud, au nom de la lutte contre le trafic qui lui ne cesse de se développer, permettent aux États-Unis de garder un pied dans leur « arrière-cour », telle que la doctrine Monroe définit l’Amérique latine ? La France néocoloniale ne fait pas mieux. Cette guerre au Mali dans laquelle nous a embarqué·es François Hollande l’a été officiellement à l’appel du président par intérim Dioncounda Traoré contre la progression de l’islamisme en arme dans la région, mais sans demander son avis à la population française. Plus officieusement, c’était aussi une façon pour la France de mieux protéger ses exploitations minières dans le pays limitrophe, le Niger, dont le Mali n’est séparé que par des dunes de sable et un trait sur la carte. Cette intervention française n’est pas étrangère non plus au fait que le Mali servait de tête de pont de la drogue colombienne depuis les années 2000…
A.G. : La question qui se pose est de créer un système de développement qui ne soit plus fondé sur le principe de l’exclusif colonial, comme le soulignent très justement les historien·nes Christian Schnakenbourg et Nelly Schmidt[2] (qui nous a récemment quitté·es), c’est-à-dire où ces territoires n’existent que pour produire des richesses pour la métropole. Quel contre-modèle proposer, sachant qu’au-delà même de l’histoire coloniale, il y a la question de l’insularité ? Parce qu’un certain nombre d’États caribéens indépendants, comme la Jamaïque, qui pourtant s’en sortent sur certains aspects économiques, continuent de subir une forme de dépendance vis-à-vis de l’Angleterre et surtout des États-Unis. Ces puissances gardent un fort pouvoir non seulement économique mais aussi politique dans la région. Ce sont de lourds problèmes de fond dont on ne pouvait pas espérer du LKP qu’il les résolve intégralement. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont la mobilisation de 2009 a permis non seulement de poser ces problèmes, mais aussi dont certaines analyses ont pu être diffusées à la population, notamment certains éléments économiques. L’une des évolutions que j’ai pu observer sur le terrain, c’est une reconnexion avec certains produits locaux, la pratique du jardin créole notamment, ou la fréquentation des marchés locaux. Mais il faudrait mesurer précisemment l’impact économique que cela a vraiment eu en Guadeloupe, on ne peut pas dire que cela a tout changé. Pour modifier durablement la situation, il faudrait vraiment une volonté et des leviers politiques et économiques considérables. On ne peut pas faire le procès au LKP d’avoir échoué à changer complètement la donne puisque les défis sont vraiment énormes. La question se pose malgré tout de savoir comment les différentes branches du courant anticolonialiste comptent dès à présent construire le système alternatif qu’elles appellent de leurs vœux. D’autant plus que certaines préconisent une rupture radicale avec la France et refusent toute initiative au sein des institutions actuelles, qualifiées de coloniales.
N.R. : La force du LKP est d’avoir été capable d’aligner des propositions concrètes en s’appuyant sur un panorama global de la situation, et non pas uniquement sur une analyse sectorielle. La mesure phare de l’accord Bino était une augmentation salariale de 200 euros mensuels pour tou·tes les salarié·es touchant moins de 1,4 fois le SMIC. Cette hausse de salaire devait être prise en charge par les pouvoirs publics pendant 3 ans, pour donner aux entreprises un temps d’adaptation, puis le relais financier devait être pris intégralement en charge par le secteur privé. Mais en avril 2009, le ministère du travail a supprimé cette clause de convertibilité, ce qui signifiait en pratique qu’après trois ans, les hausses de salaires disparaitraient. Il y a aussi eu une baisse du prix de certains produits de première nécessité, mais le marché s’est chargé de compenser cette baisse par une augmentation sur d’autres produits. Donc les acquis obtenus par la lutte ont été progressivement rognés. Mais il faut rappeler qu’à l’époque, réclamer 200 euros d’augmentation pour les bas salaires en France, c’était hors de question pour les dirigeant·es des grandes centrales syndicales. Et la grève a tout de même tenu 44 jours, l’une des plus longues depuis des décennies ! Enfin, si les acquis sociaux ont vite perdu de leur force, face aux logiques du marché et au pouvoir politique français complice, ils restent d’un point de vue symbolique, inébranlables. Les gens ont pris conscience qu’ils pouvaient faire plier les dominant·es !
A.G. : Oui, malgré le caractère tout relatif de la victoire obtenue, il ne faut pas minimiser l’impact du LKP et le caractère historique de ce qui s’est passé avec les accords de fin de conflit. L’union opérée par le LKP et le mode de fonctionnement mis en œuvre, notamment le principe d’unanimité dans les prises de décisions collectives, ce lyannaj qui a permis de négocier avec les patron·nes et avec l’État pour imposer des mesures sociales dans une période de crise économique mondiale, est sans précédent. Même si ce n’était clairement pas suffisant, par rapport à la machine qu’il y avait en face, car ce n’était pas forcément possible d’aller plus loin de manière durable.
M. : Que penser du fait que certaines mesures ou certains thèmes aient été absents des revendications exprimées, telles que des réparations pour l’esclavage, ou la question de l’indépendance ? Où en sont ces revendications aujourd’hui ?
A.G. : Même si la revendication des réparations pour l’esclavage est une revendication ancienne à l’échelle de l’histoire de l’esclavage atlantique, dans la Caraïbe mais aussi aux États-Unis et en Afrique, dans les Antilles francophones c’est une revendication qui a été posée comme telle seulement de façon assez récente. C’est vrai que la politisation de la mémoire de l’esclavage est une question ancienne. Déjà dénoncée par les insurgé·es du Sud de la Martinique en 1870, la reproduction des inégalités socio-raciales depuis l’esclavage a également été soulevée par le socialiste guadeloupéen Hégésippe Légitimus lors de la décennie suivante. Ce travail de politisation mémorielle a été très consciemment effectué comme tel après la deuxième guerre mondiale par les communistes guadeloupéen·nes, notamment par Henri Bangou, maire communiste de Point-à-Pitre de 1965 à 2008. Mais la question des réparations ne se posait pas en des termes aussi explicites qu’aujourd’hui, c’est-à-dire sous la forme des revendications ciblées formulées notamment par la Brigade anti-négrophobie, par Louis-Georges Tin au Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) ou par le Comité International des Populations Noires (CIPN). C’est à partir des années 2000 que cette question a commencé à être véritablement portée par une frange du mouvement anticolonialiste guadeloupéen, en lien avec différents pays de la Caraïbe et même avec certain·es chercheur·euses et militant·es états-unien·nes. C’est, au moins à l’origine, une mouvance marginale mais paradoxalement très bien située politiquement. Elle est issue des révolutionnaires indépendantistes radicaux·ales qui pratiquaient des attentats à la bombe dans les années 1980 : le Groupe de libération armée (GLA), L’Alliance révolutionnaire caraïbe (ARC) ou, dans une moindre mesure et dans des circonstances plus troubles, L’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG), moins révolutionnaire et jouissant alors d’une plus grande influence. A l’exception de l’UPLG, qui a fini par perdre toute influence politique, ces groupes se sont réorientés vers un militantisme beaucoup plus noir, qui convoque vraiment la « blackness », la noirité dans son sens international. Cette réorientation s’est faite notamment sous la houlette du Guadeloupéen Luc Reinette, figure historique de l’ARC, et de Garcin Malsa, une grande figure du militantisme anticolonialiste et écologiste en Martinique.
N.R. : La question de l’esclavage n’a pas été mise sur la table telle quelle par le LKP en 2009, par contre elle est intrinsèque au mouvement. Les groupuscules de lutte armée qui opéraient dans la clandestinité et menaient des actions ciblées visant les structures d’État ont été démantelés dans les années 1980. Leurs leaders ont été mis en prison ou tués, certains dans des circonstances encore non éclaircies. Au cours des années 1990, une espèce d’accord inofficiel a été conclu entre ces groupes et l’État. Les prisonniers ont été libérés et réintégrés dans la société civile, tandis que les militant·es se sont investi dans des formes d’action davantage syndicales et culturelles. Puis est venu le temps des commémorations. En France hexagonale, 50 000 personnes ont défilé à Paris le 23 mai 1998, 150 ans après la deuxième abolition de l’esclavage par la France, tandis qu’en Guadeloupe plus de 10000 personnes ont assisté à une reconstitution « live » de l’arrivée d’un bateau négrier organisée par Luc Reinette, figure historique du mouvement indépendantiste à l’origine du Groupe de Libération Armée (GLA) en 1980 et membre actif du LKP à partir de 2008. Ensuite, le 10 mai 2001, il y a eu l’adoption de la loi dite Taubira, qui reconnait la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. Christiane Taubira, mariée autrefois au leader indépendantiste guyanais Roland Delannon, est extrêmement populaire en Guadeloupe, où elle est arrivée largement en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle en 2002. De plus, Michel Madassamy, un dirigeant de l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG), a été condamné pour le saccage le 27 mai 2001 d’un magasin de Pointe-à-Pitre dont les responsables avaient refusé de baisser leur rideau lors de ce jour férié en Guadeloupe en commémoration des luttes historiques contre l’esclavage. C’est cette continuité historique qu’Élie Domota, la principale figure du LKP, a très clairement pointée dans sa déclaration du 28 janvier 2009, prononcée après que le préfet Nicolas Desforges a rompu le premier cycle de négociations au World Trade Center durant la grève générale :
« Ce que nous affirmons, c’est que la société guadeloupéenne s’est construite sur des rapports de race et de classe depuis 400 ans. Aujourd’hui, dans la pyramide, le pouvoir correspond à une couleur, on vient de le constater (les représentants de l’Etat ont quitté les négociations). En Guadeloupe actuellement, au sommet de la pyramide, on retrouve les Blancs et les Européens, au bas de l’échelle se situent les Nègres et les Indiens, c’est un constat. On nous parle de paix sociale ! La paix sociale ne peut exister dans un pays quand la majorité de ses enfants est exclue du travail, est exclue du savoir, est exclue des responsabilités (…)
Aujourd’hui, en analysant les 50 plus grandes entreprises en Guadeloupe, leurs cadres ne sont pas des Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne, c’est la vérité ! En observant les administrations, les services de l’Etat, les chefs de services et les cadres ne sont pas majoritairement des Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne ! Dire le contraire, c’est mentir, (…) ! Quels sont les services que les Guadeloupéens d’origine africaine et indienne gèrent en Guadeloupe ? Ce sont les services qui relèvent de la gestion de la misère. La CMU (la Couverture Maladie Universelle), monsieur Yacou, le RMI (le Revenu Minimum d’Insertion) monsieur Lubeth, le pôle emploi ANPE-ASSEDIC monsieur Dumurier, la CAF et l’API (l’Allocation Parent Isolé) monsieur Saint-Clément. Les Guadeloupéens d’origine africaine et indienne gèrent la misère des Guadeloupéens ! Dans tous les autres services de l’Etat qui exercent un pouvoir, tant dans leur direction que dans leur staff d’encadrement, on ne trouve pas de Guadeloupéens d’origine africaine ou indienne ! (…) »
Donc la question de l’esclavage est bien centrale dans la lutte du LKP, même si le sujet des réparations n’a pas été intégré comme tel dans les revendications du collectif. Car il ne s’agissait pas de quémander quelque compensation que ce soit à celleux dont les ancêtres ont réduit les nôtres en esclavage, permettant ainsi d’enrichir l’Europe comme jamais, mais bien de changer la donne héritée de cette horreur innommable qui marque encore l’organisation socio-raciale de la société antillaise.
A.G. : De fait, quand on parle des Antilles, l’esclavage avec tout ce qui en a découlé est un point de départ obligatoire. Mais ce qui est intéressant, c’est la manière dont les différents mouvements se sont approprié cette question, la narratologie particulière qui a été construite autour de cette donnée fondamentale. Dans les années 1950, Henri Bangou a écrit toute une histoire de la Guadeloupe en plusieurs tomes pour expliquer les spécificités de l’histoire guadeloupéenne à travers une lecture marxiste. Ces travaux ont ensuite inspiré les premiers mouvements indépendantistes qui ont émergé dans les milieux estudiantins de France hexagonale dans les années 1960. Ces mouvements ont ainsi théorisé la notion de guadeloupéanité à partir de la définition essentiellement culturaliste de Staline de ce qui constitue une nation. Être Guadeloupéen·ne, selon cette perspective, c’était partager une certaine culture, et même si la conception développée par Staline ne convoque pas du tout la notion de race, qu’elle est clairement color-blind, la culture à laquelle faisaient référence ces indépendantistes était celle des paysans et des ouvriers guadeloupéens. L’idée centrale implicite était que le peuple guadeloupéen est avant tout constitué par des descendant·es d’esclaves insurgé·es, de nègres marrons. Les mouvements indépendantistes ont ainsi d’emblée forgé une filiation forte entre le militantisme anticolonialiste et la lutte antiesclavagiste, avec comme point de référence la résistance opposée en 1802 par des milices de couleur aux troupes napoléoniennes venues rétablir l’esclavage. Sans nier que ces événements ont eu un impact décisif sur l’histoire guadeloupéenne, ce qui est pertinent à analyser, c’est la manière dont les militant·es ont opéré une certaine mythologisation de 1802 et de la figure du nègre marron, qui ne correspond pas toujours vraiment à des personnages historiques bien situés, pour donner du sens à leur histoire et pour mobiliser. Cela montre l’inventivité des sociétés, qui façonnent leur propre lecture politique de l’Histoire pour établir un certain lien entre passé et présent. Cette dynamique est extrêmement vivante au sein du LKP. Donc en 2009 la question de l’esclavage était en réalité omniprésente dans toute la phraséologie, dans toute la rhétorique d’Élie Domota et du LKP, qui établissaient vraiment une contraction temporelle sans pour autant que la question des réparations soit centrale dans leurs revendications explicites.
N.R. : Concernant le thème de l’indépendance, Élie Domota, qui était à la fois secrétaire général de l’UGTG et porte-parole du LKP, a fait le choix délibéré de ne pas le mettre sur la table lors de la formation du collectif contre la vie chère car il s’agissait de ne pas froisser les autres partenaires pas toujours emballés par cette question, notamment les Verts, le PC Guadeloupéen, et certaines branches de la CFDT plus combatives que les instances nationales. D’ailleurs, lors d’une interview accordée à Chien Créole, Domota lui-même a affirmé que « si sur la seule base de la plateforme du LKP, on doit demander l’indépendance, même moi, j’y vais pas ! ». Les avancées obtenues par le LKP s’inscrivent évidemment dans la route sinueuse pouvant mener à terme vers l’indépendance, mais cette question a été écartée des revendications par pragmatisme, pour réaliser une union effective.
A.G. : Il y aussi que la population reste a priori majoritairement opposée à l’indépendance. Le scandale de la contamination au chlordécone et les mobilisations actuelles contre l’obligation vaccinale des soignant·es et le passe sanitaire n’ont sans doute pas fondamentalement fait évoluer les avis sur la question. Lors du référendum de 2003, où la question posée était celle d’un passage de l’article 73 à l’article 74 de la constitution, qui prévoit simplement un niveau accru d’autonomie, les votant·es se sont exprimé·es contre de façon largement majoritaire, malgré un taux élevé d’abstention. En 2010, un deuxième référendum portant sur une proposition identique s’est tenu en Martinique et en Guyane, mais pas en Guadeloupe, à la demande des élu·es locaux·ales, et le résultat a été le même. Concernant le LKP, le lyannaj, cette alliance entre l’UGTG et une multitude d’autres syndicats d’extrême gauche pour la plupart mais pas tous nationalistes ni indépendantistes, s’est faite sur la question de la lutte des classes et de la défense des droits des travailleur·euse, avec le slogan « Pep Gwadloup, travayè Gwadloup » (« Le peuple guadeloupéen, les travailleurs de la Guadeloupe »). À partir de là, il devenait un peu compliqué politiquement de greffer en sous-main la question des réparations ou de l’indépendance, qui ne faisaient pas l’unanimité.
M. : Le « lyannaj » a été l’instrument de la lutte contre la « pwofitasyon ». Quels ont été les éléments les plus déterminants dans la constitution d’un tel collectif ? Qu’est-il advenu après la mobilisation ? Quelles organisations structurent le mouvement social en Guadeloupe actuellement ?
N.R. : Lyannaj peut se traduire par « lien », d’abord entre les différents groupes du collectif, mais aussi avec les luttes passées. Ce terme avait déjà été utilisé en 2007 lors d’un événement appelé « Liyannaj 1801-2007 », dont le nom soulignait très explicitement cette continuité avec l’histoire des luttes en Guadeloupe. Cet événement avait déjà été organisé à l’initiative de l’UGTG et rassemblait aussi le groupe culturel Akiyo, le syndicat agricole UPG, les organisations politiques Mouvman Nonm et Travayè é Péyisan. Dans un communiqué paru le 21 octobre 2007, ces organisations en appelaient à « plus de solidarité, plus de création, plus de pouvoir, afin que le peuple de Guadeloupe accède à l’indépendance. »
A.G. : Sans le starifier, parce qu’il y a eu un élément de starification de Domota, Domota y est pour beaucoup dans la mise en place et la réussite du lyannaj en 2009, du fait de son idiosyncrasie, notamment de ses qualités d’orateur, mais aussi de son capital militant, comme le note Pierre Odin. Comme toute une génération qui a environ une cinquantaine d’années aujourd’hui, Domota a été formé par les premières organisations indépendantistes, qui ciblaient les populations jeunes : élèves d’écoles primaires, collégien·nes, lycéen·nes et étudiant·es. Des mouvements comme BIJENGWA (Bik a Jennès Gwadloup, « Le repère de la jeunesse guadeloupéenne »), la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC) et la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) antillaises étaient des relais des idées anticolonialistes et anticapitalistes qui transmettaient également l’histoire guadeloupéenne à ces jeunes. Le capital militant que Domota a pu accumuler du fait de son engagement très précoce lui a permis d’avoir à sa disposition un carnet d’adresse assez vaste. Il a su aussi se saisir de l’opportunité de la mobilisation de 2008 en Guyane, ainsi que du contexte de la crise mondiale à l’époque, pour créer un projet unitaire social et syndical. Au départ, il a vraiment été l’instigateur de la mise en contact des différentes composantes du LKP et de sa manière de fonctionner, fondée sur l’unanimité des positions en se concentrant sur les dénominateurs communs, au-delà des divisions.
N.R. : Domota a su éviter de se prendre pour une star malgré le jeu de la starification mis en œuvre par les médias. Il s’est toujours présenté comme un simple porte-parole et s’il a réussi à capter l’attention des caméras, c’est que tout un chacun pouvait se reconnaitre en lui. Il possède aussi un grand talent oratoire et va droit au but. Il m’a beaucoup rappelé la figure du sous-commandant Marcos au Mexique, qui avec son passe-montagne s’exprimait en fait au nom de tou·tes les opprimé·es. Domota ne s’adressait pas seulement à celleux de son camp, c’est-à-dire aux indépendantistes, mais à tou·tes celleux qui souffraient, donc sa parole a vraiment pris une dimension universelle à ce moment-là. Après, son succès est aussi dû au fait qu’il proposait une analyse globale de la situation et qu’il portait un programme précis et détaillé. Derrière Domota, il y avait une armée d’expert·es, dont il n’était que la face visible. Tout seul, Domota n’aurait pas existé médiatiquement. Grâce à lui et au LKP, le peuple guadeloupéen a soudain pris conscience qu’il pouvait prendre en main son destin, que l’union entre différentes tendances pouvait faire vaciller le pouvoir central. Cela ressemble à la dynamique des Frentes Amplios en Amérique latine, unions larges qui ont permis dans plusieurs pays à des partis de gauche, à des associations culturelles ou communautaires noires et amérindiennes de remporter des élections majeures, même si ce n’était pas forcément l’intention première du LKP de prendre les rênes du pouvoir en Guadeloupe, notamment par les urnes. L’UGTG en tous cas prône un syndicalisme révolutionnaire basé sur l’idée que c’est par le rapport de force que l’on obtient des victoires. Il refusera toujours de devenir un simple partenaire social juste bon à aller dans le sens des limites acceptables établies par le gouvernement ou par le grand patronat.
A.G. : Il y avait en fait deux porte-parole du LKP, l’autre étant Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGT Guadeloupe, très reconnu localement mais qui au niveau national était complètement éclipsé par la figure de Domota. Sans doute cela est-il dû à la fois au charisme indéniable de Domota, et aussi au mécanisme médiatique qui veut que l’on réinvite plus facilement la personne qui est identifiée comme référente sur un sujet donné. Toujours est-il qu’il y a eu un véritable phénomène Domota : sur les arrêts de bus, par exemple, on voyait à la fois des tags du slogan du LKP « La Gwadloup sé tannou, La Gwadloup sé pa ta yo » (La Guadeloupe est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux) et « Domota, sé nou » (Domota, c’est nous). Autre exemple, une entrepreneure blanche créole a refusé de m’accorder un entretien qu’elle avait d’abord accepté en me disant d’aller voir Domota puisque c’était lui qui intéressait les journalistes. Ce phénomène de popularisation de Domota a dépassé sa personne, il est devenu l’incarnation-même du mouvement. Du coup, le LKP s’est de plus en plus confondu avec l’UGTG, vu la double casquette de Domota. Or, malgré le principe de l’unanimité et l’absence de hiérarchie officielle au sein du LKP qui ont permis au collectif de se maintenir et de faire avancer un certain nombre de questions, il y avait bien entendu des tensions en sous-main qui ont conduit à un effritement graduel de la coalition, notamment avec les élections régionales de 2010. La position tenue par l’UGTG, en tant que syndicat indépendantiste, était « nou pa kalé dansé an bal a makak ! » (« nous ne dansons pas dans des bals de singes », autrement dit « nous ne participons pas à cette mascarade »). L’UGTG considérait que comme c’était l’État colonial français qui fixait les règles du jeu électoral, tant que la Guadeloupe ne serait pas indépendante, participer aux élections n’était pas leur affaire. À moins qu’il n’y ait un enjeu crucial, ce syndicat préférait se focaliser sur l’organisation des travailleur·euses et du peuple guadeloupéens. Mais d’autres composantes du LKP ont fait le choix de présenter des listes aux élections, notamment le parti Combat ouvrier, proche de Lutte Ouvrière, emmené par Jean-Marie Nomertin, et la Centrale des travailleurs unis (CTU, troisième syndicat de l’île), dont le secrétaire général, Alain Plaisir, a créé son propre parti en novembre 2009 en vue des régionales : le Comité d’initiative pour une alternative politique (CIPPA). Cette échéance électorale a donc vraiment créé une ligne de fracture au sein du LKP, et à ce moment-là le lyannaj a perdu l’essentiel de sa force, le LKP est devenu essentiellement l’UGTG.
N.R. : Effectivement, le mouvement s’est scindé en deux au moment des élections, avec une partie qui était pour la représentativité politique, pour transformer l’essai de la mobilisation en obtenant des élu·es. Ce ne sont pas seulement des syndicalistes comme Nomertin ou Plaisir, mais aussi des intellectuels comme Julien Mérion qui ont appelé à la participation aux élections, malgré l’opposition ferme de Domota. Mais d’autres lignes de désaccords sont aussi apparues. Par exemple, en 2014, lorsqu’il s’est agi d’inscrire au Patrimoine mondial de l’UNESCO le gwoka, genre musical et de danse d’héritage africain très enraciné dans la culture populaire guadeloupéenne, deux franges du nationalisme guadeloupéen se sont positionnées différemment : l’avocat Félix Cotellon plaidait pour cette inscription, tandis que Domota s’y opposait car il considérait, comme il me l’a souligné en personne, qu’à partir du moment où la demande était formulée au nom de la France, il n’était pas question de la soutenir. C’est vrai qu’on n’a pas attendu que le gwoka soit inscrit à l’UNESCO pour l’exporter dans le monde entier : il y avait déjà des tambourinièr·es ou des professeur·es de gwoka en Australie, au Japon et un peu partout dans le monde. Mais à mon avis, en intégrant des instances internationales, même si ça doit se faire par le biais de la France, finalement on dispose d’une couverture bien plus large qui permet de faire rayonner la culture guadeloupéenne au-delà de la France. Dans un monde globalisé, lorsqu’on joue la carte écrite par les dominant·es mais en la retournant à son avantage, on peut aussi en tirer des bénéfices pour le peuple lui-même. D’autres mouvances sont apparues depuis, comme l’Alyans Nasyonal Gwadloup (ANG), qui s’est présentée aux dernières élections régionales sous la liste NOU. Emmené notamment par Ronald Selbonne, ce rassemblement s’inscrit officiellement dans l’héritage de l’Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe (UPLG) et a obtenu près de 10% des voix aux élections régionales de 2021, soit 8600 voix, contre moins de 700 pour l’UPLG en 2015. Il existe maintenant plusieurs tendances indépendantistes, pas forcément d’accord sur les stratégies à mener ou les étapes à franchir, mais dont je considère qu’elles vont dans le même sens.
A.G. : Comme partout, c’est un peu compliqué de définir ce qu’est la gauche entre les questions socio-économiques, politiques et de société. Sur le terrain, c’est l’UGTG qui continue à organiser les manifestations, les mobilisations, etc. C’est notamment des militant·es du LKP qui en 2015 ont effectué la première action de déboulonnage de statue, qu’on n’appelait pas encore comme cela à l’époque, au moment où une association de blanc·hes créoles guadeloupéen·nes a voulu installer une stèle en l’honneur des premiers colons. Ce que je constate cependant, c’est qu’on observe un véritable changement vers une plus grande explicitation de la question raciale en Guadeloupe, avec un succès grandissant de mouvements afrocentristes, en particulier via les réseaux sociaux. Ces mouvances sont constituées de personnes plus jeunes, qui abordent davantage la politique à travers la race et beaucoup moins à travers le nationalisme ou un regard marxisant. Black Lives Matter et d’autres influences étasuniennes ont eu un impact important sur ces populations. On voit apparaitre une forme de décolonialisme qui articule beaucoup moins l’anticolonialisme avec l’anticapitalisme que les mouvements anticolonialistes qui ont existé depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’aux années 1990. Mais on trouve aussi d’autres tendances qui nuancent cet accent mis sur la noirité pour mettre en avant le fait que l’histoire guadeloupéenne est traversée par le métissage. Une transmission de l’histoire de l’anticolonialisme guadeloupéen se fait tout de même qui permet aux personnes plus jeunes de se réapproprier ce passé, plutôt que de poser les problèmes politiques uniquement en termes de race et d’essence africaine ou noire. Par exemple, en 2020, Franck Salin a sorti un documentaire intitulé « Camarade Jean », consacré à Louis Théodore, l’un des membres fondateurs de l’indépendantisme guadeloupéen.
N.R. : En 2020, il y a eu un certain nombre d’actions de déboulonnage, en pleine dynamique du mouvement Black Lives Matter tragiquement relancé par l’assassinat le 25 mai de George Floyd aux États-Unis, diffusé planétairement. Plusieurs statues d’esclavagistes dans le monde anglo-saxon ont littéralement été jetées à l’eau, par exemple le 7 juin à Bristol, en Grande-Bretagne. Cela ne me choque absolument pas, les statues sont faites pour être érigées et renversées, cela s’appelle l’Histoire ! En Martinique, le 22 mai, jour de l’abolition de l’esclavage sur l’île, des militant·es ont mis à bas deux statues de Victor Schoelcher, qui avait décrété l’abolition de l’esclavage aux Antilles françaises en 1848, pour réclamer que les figures noires de l’émancipation soient davantage mises en avant. En juillet, c’est en Guyane qu’une statue du même personnage a été déboulonnée, et en Martinique, les statues de Pierre Belain d’Esnambuc, à l’origine de l’installation de la colonie française sur l’île, et celle de Joséphine de Beauharnais. La statue de l’épouse de Napoléon 1er avait d’ailleurs déjà été décapitée en 1991 et n’avait jamais été restaurée depuis. Les groupes qui ont mené ces actions sont intéressants pour leur dénonciation du colonialisme, mais ils sont parfois gangrénés par des militant·es antisémites qui polluent le débat. Cet antisémitisme a trois origines : l’antisémitisme présent dans une partie du mouvement afrocentriste étatsunien, pointant du doigt les Juif·ves esclavagistes d’hier et capitalistes d’aujourd’hui, l’antisémitisme français traditionnel issu du catholicisme, qui a culminé dramatiquement sous la collaboration avec la déportation des Juif·ves, et un antisémitisme musulman allant bien au-delà de l’antisionisme, que l’on retrouve dans les banlieues où ont grandi les Antillais·es issu·es du BUMIDOM. De plus, j’ai souvent constaté chez ces jeunes une grande méconnaissance de l’histoire des luttes afros aux Antilles et en Amérique latine, pourtant notre environnement immédiat. Iels sont davantage influencé·es par une vision afrocentriste venue des États-Unis et qui domine de plus en plus en France depuis les vingt dernières années, véhiculée aussi par des Français·es qui sont parfois des double nationaux, issu·es d’une immigration africaine récente. On ne m’entendra cependant jamais hurler avec les loups blancs contre les loups noirs, je pense que nous devons d’abord laver notre linge sale en famille, en cherchant à convaincre celleux qui sont encore récupérables. Certain·es afrodescendant·es font fausse route en se laissant séduire par ces tendances, passant d’un antisionisme tout à fait justifié lorsqu’on se situe dans une perspecctive anticolonialiste, à un antisémitisme évidemment condamnable !
[1] Raymond Gama et Jean-Pierre Sainton, Mé 67 : mémoire d’un événement, Société guadeloupéenne d’éd. et de diffusion, Pointe-à-Pitre, 1985.
[2] « (…) l’ensemble des importations et des exportations est géré, encore aujourd’hui, par un très petit nombre de sociétés. C’est l’héritage de “l’Exclusif colonial” des XVIIe et XVIIIe siècles. La conséquence de cette situation de quasi-monopole, c’est que ces sociétés fixent les prix qu’elles veulent. Des prix bien souvent excessifs. Mais au-delà des questions liées au prix des différentes marchandises, c’est à la fois les paradoxes du développement social de ces territoires, les incuries successives dont ils ont souffert et le lourd héritage de leur histoire qui apparaissent sous les projecteurs. » Baptiste Touverey, « Une interview de l’historienne Nelly Schmidt. Antilles : La France en a-t-elle fini avec l’esclavage ? », Le Nouvel Observateur, 20 février 2009.
Chronologie du mouvement
3 décembre 2008
Résultats de élections prud’homales : l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG) obtient 51% des voix, la Confédération Générale du Travail de la Guadeloupe (CGTG), 20%, la Centrale des Travailleurs Unis (CTU), 8,6%.
5-6 décembre 2008
À l’appel de l’UGTG, création du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), « Coalition contre l’exploitation », qui regroupe 49 syndicats, partis et associations. Décision d’appeler à une journée de grève avec manifestation le 16 décembre.
8-11 décembre 2008
Mouvement de petits entrepreneurs du bâtiment qui bloquent les axes de circulation pour protester contre le prix de l’essence. Le préfet accorde une baisse du prix du litre de sans-plomb de 20 centimes ; en contrepartie, la Société antillaise de raffinerie (SARA) recevra une subvention de 3 millions d’euros.
16 décembre 2008
Manifestation de plusieurs milliers de personnes « contre la vie chère » à Pointe-à-Pitre et à Basse-Terre. Le sous-préfet reçoit une délégation de 15 personnes. Décision de lancer une grève générale illimitée à partir du 20 janvier 2009.
16 décembre 2008 – 20 janvier 2009
Élaboration de la plateforme de 146 revendications du LKP. Organisation de meetings locaux pour faire connaitre la plateforme.
19 janvier 2009
Entrée en grève des gérant·es des 115 stations-services de Guadeloupe, contre toute nouvelle implantation de station-service sur l’île.
20 janvier 2009
Début de la grève générale illimitée à l’appel du LKP. Manifestation de plusieurs milliers de personnes à Pointe-à-Pitre.
21 janvier 2009
Occupation de l’aéroport.
23 janvier 2009
Début des négociations avec le préfet Nicolas Desforges. Les négociations sont retransmises sur la chaîne de télévision locale Canal 10.
24 janvier 2009
Manifestation de milliers de personnes à Pointe-à-Pitre.
28 janvier 2009
Le préfet rompt le premier cycle de négociations à la demande de Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer.
30 janvier 2009
Manifestation record de plusieurs dizaines de milliers de personnes à Pointe-à-Pitre.
31 janvier 2009
Le conseil régional et le conseil général de la Guadeloupe proposent des mesures à hauteur de 54 millions d’euros afin de satisfaire les principales revendications du LKP. Le LKP refuse cette proposition. Arrivée de Yves Jégo en Guadeloupe.
1er février 2009
Yves Jégo annonce l’application anticipée du Revenu de solidarité active (RSA) pour 2009.
3 février 2009
Fin de la grève des stations-services. Yves Jégo accorde un moratoire de trois ans avant l’implantation de nouvelles stations. Il annonce que 40 000 billets d’avions aller-retour à 340 euros Pointe-à-Pitre/Paris seront mis à disposition des « Guadeloupéens les plus modestes ».
4 février 2009
Début des négociations entre Yves Jégo et le LKP. Jégo annonce « une trentaine de mesures », et notamment avoir obtenu « un engagement clair, chiffré » de la grande distribution pour une baisse de 10 % du prix de 100 produits de première nécessité. Blocage du port et des écoles. Manifestation de milliers de personnes à Pointe-à-Pitre.
6 février 2009
Blocage du dépôt pétrolier. Yves Jégo annonce une baisse significative du prix du carburant.
8 février 2009
Après une nuit blanche de négociations, un préaccord est conclu entre les organisations patronales, l’État et les syndicats sur une augmentation de 200 euros pour les salaires inférieurs à 1,4 fois le SMIC, revendication phare du LKP. Jégo s’engage à ce que l’État finance intégralement cette augmentation, à hauteur de 108 millions d’euros. Mais l’après-midi, il est rappelé à Paris par François Fillon, le premier ministre, et les négociations sont à nouveau rompues. Jacques Gillot (app-PS), président du conseil général, et Victorin Lurel (PS), président du conseil régional, appellent à durcir la mobilisation.
10 février 2009
Remise à Yves Jégo d’un rapport d’étape ministériel sur la fixation des prix du carburant aux Antilles et en Guyane, jugé « accablant pour les compagnies pétrolières » par Le Monde. Réunion de crise interministérielle à Paris.
10 février 2009
Retour de Yves Jégo en Guadeloupe, chargé simplement d’installer les deux nouveaux négociateurs imposés par Matignon : le directeur adjoint du travail au ministère des affaires sociales, et le directeur général du travail d’Aquitaine.
12 février 2009
Élie Domota, secrétaire général de l’UGTG et principal porte-parole du LKP, déclare sur Canal 10 que « si un manifestant du LKP est blessé, il y aura des morts (…) Si c’est ça qu’ils veulent, si c’est la guerre civile, ils peuvent compter sur nous ».
14 février 2009
Jacques Gillot et Victorin Lurel appellent à un « assouplissement » de la grève et proposent de verser « une prime salariale » de 100 euros à tou·tes les salarié·es touchant moins de 1,4 fois le SMIC « jusqu’en mai, peut-être en juin ». Ces 100 euros seraient complétés par 100 euros versés par le patronat. Le LKP refuse cette proposition.
16 février 2009
À l’appel du LKP, des barrages sont dressés partout sur l’île par des militant·es et par la population. Les gendarmes prennent d’assaut le barrage de Poucette, entre Pointe-à-Pitre et Sainte-Anne, et passent à tabac plusieurs dizaines de personnes, dont le syndicaliste Alex Lollia, membre dirigeant de la Centrale Unie des Travailleurs (CTU). En réaction, les barrages se multiplient.
17 février 2009
Mort par balles de Jacques Bino, syndicaliste membre de l’UGTG. Neuf écrivains signent un « Manifeste pour les ‘produits’ de haute nécessité » .
19 février 2009
Nicolas Sarkozy, président de la République, annonce l’organisation prochaine d’États généraux de l’outre-mer. Patrice Prixam est arrêté pour le meurtre de Jacques Bino. Il sera relâché deux jours plus tard, le visage tuméfié.
20 février 2009
Reprise des négociations entre les organisations syndicales et patronales.
21 février 2009
Plus de 10 000 personnes manifestent à Paris en soutien à la grève en Guadeloupe, à l’appel de Continuité LKP.
22 février 2009
Obsèques de Jacques Bino, auxquelles assistent 4000 personnes. Olivier Besancenot, José Bové, Ségolène Royal font le déplacement depuis la France.
25 février 2009
Le Medef se retire des négociations, au motif que la sécurité de son représentant, Willy Angèle, qui aurait fait l’objet d’une « nouvelle agression d’Élie Domota », n’est pas assurée.
26 février 2009
Ruddy Alexis est arrêté pour le meurtre de Jacques Bino. Il sera reconnu innocent en 2014.
28 février 2009
Signature d’un accord régional interprofessionnel (dit accord Bino) par des syndicats patronaux minoritaires représentant le petit patronat, en l’absence du Medef et de sept autres fédérations patronales. L’accord couvre entre 14 000 et 17 000 salari·ées sur 80 000. Il prévoit une hausse de 200 euros pour les salaires inférieurs à 1,4 fois le SMIC. L’État financera cette hausse à hauteur de 100 euros en 2009, puis de 50 euros en 2010-2011 ; à partir de 2012, une « clause de convertibilité » prévoit que la hausse sera intégralement financée par les entreprises.
4 mars 2009
Signature d’un protocole de fin de conflit, qui comprend 165 articles.
7 mars 2009
Ouverture d’une enquête judiciaire contre Élie Domota par le parquet de Pointe-à-Pitre pour provocation à la haine raciale et tentative d’extorsion de signature. Domota avait déclaré le 5 mars que les entrepreneur·euses qui refusaient l’accord Bino devraient « quitter la Guadeloupe » et qu’il ne « laisser(ait) pas une bande de békés rétablir l’esclavage ».
3 avril 2009
Accord d’extension de l’accord Bino à toutes les entreprises non-signataires, mais sans la « clause de convertibilité » qui assure sa pérennisation au-delà de 2011. Le préambule de l’accord, qui mentionnait l’existence d’une « économie de plantation » en Guadeloupe, est lui aussi supprimé.
22 avril-29 juillet 2009
États généraux de l’outre-mer, boycottés par le LKP.