Dans une interview au quotiden El Nacional, le vice-ministre des Relations Extérieures vénézuélien, Vladimir Villegas, trace un bilan autocritique d’une franchise sans précédent et en assume les risques politiques.
Quelle première lecture faites-vous de ce qui s’est passé dimanche ?
En premier lieu, il a été démontré que nous avons une autorité électorale qui fonctionne. Elle a sans doute un peu tardé à donner les résultats, mais elle a démontré qu’elle est capable de réfléter les choix de l’électorat. C’est une grande leçon pour l’opposition, qui doit cesser de miser sur les raccourcis |NdT : pour chasser Chávez du pouvoir|. Mais nous aussi nous avons appris quelques leçons.
Lesquelles ?
Qu’on ne peut pas sous-estimer la dissidence interne, le débat d’idées. Il faut qu’il y ait au sein du chavisme une réflexion nécessaire pour trouver le chemin de la critique. Le silence hypocrite nous fait plus de mal que la critique.
Quelle est la principale raison de la défaite du projet de réforme constitutionnelle ?
Son contenu n’a pas été assimilé, nous n’avons pas su vendre le modèle socialiste. Les gens n’y ont vu que du négatif. Il a été démontré que notre société n’est pas mûre pour le socialisme.
Ou bien pour le « socialisme du XXIe siècle » ?
C’est qu’on ne peut pas proposer à la société un modèle qui est encore en débat. Le chavisme ne s’est pas mobilisé en masse, et c’est grave, ce n’est pas une question de rejet idéologique. Par ailleurs, il s’agit d’un vote sanction contre tout ce que nous avons vu, tant de gens aveuglés par le pouvoir, en particulier les gouverneurs et les maires. Nous avons eu tort de vouloir impulser une accélération excessive de la réforme et des changements. À partir de maintenant, nous devons exercer une réflexion collective, sans chercher de boucs émissaires, mais chacun sait quelle est sa part de responsabilité dans cette affaire. Si nous avions eu des espaces de discussion interne, beaucoup de choses auraient changé.
Il y a aussi un problème de communication.
Il faut tenir compte du fait que nous avons été engagés dans une bataille médiatique et que nous l’avons perdue, nous n’avons pas su présenter nos points de vue. Cela fait partie de la discussion que nous devons engager, parce qu’il y a un manque de clarté parmi nous, il y a différentes visions du socialisme que nous n’avons pas débattues.
Il y a des débats au sein du chavisme ?
Il faut en finir avec cette habitude de ne jamais rien discuter. En tant que révolutionnaires, nous avons beaucoup de chose à débattre. Chávez doit comprendre que la réflexion est un patrimoine collectif. Il doit être à l’écoute de nos réflexions. Il faut que le Président s’entoure de gens qui lui disent les choses en face.
Mais il n’écoute pas.
S’il n’écoute pas, c’est un autre problème. Il a besoin de s’entourer d’un véritable état-major politique.
Qui n’existe pas aujourd’hui ?
Je ne suis pas certain qu’il existe aujourd’hui.
À la racine de la défaite, il y a aussi un problème d’appareil politique, non ?
La question du PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela) est un autre thème qu’il faut discuter. Un parti ne peut pas naître en ayant comme première structure un tribunal disciplinaire. C’est comme construire un hôpital en commençant par la morgue |1| .
Des révisions sont nécessaires.
Elles s’imposent. Le PSUV devra choisir ses dirigeants de la manière la plus ouverte et démocratique possible. Les gens diront ce qu’ils veulent. Cette défaite est une chance pour la révolution, parce qu’elle constitue un signal d’alarme qui nous ouvre les yeux sur nos faiblesses. Ceux d’entre nous qui ont déjà vécu des défaites savent ce que cela signifie. Elles sont une source d’apprentissage. Le chavisme ne peut pas vivre dans l’arrogance.
Mais il y a beaucoup d’arrogance dans le chavisme.
Et dans l’opposition aussi. Si elle ne fait pas une lecture correcte de sa victoire, elle peut arriver à conclusions erronées. L’opposition est une force importante, mais elle doit résoudre ses contradictions internes et ne peut pas transmettre un message d’arrogance. La défaite est essentiellement due à la démobilisation du chavisme.
Quelle partie du projet n’a pas « pris » au sein du chavisme ?
En ce qui me concerne, par exemple, j’avais mes réserves à l’égard de l’article 337 (qui prévoyait d’éliminer le droit à l’information et à un procès dans les règles en cas d’état d’exception), et je les ai exprimés, au risque de me faire traiter de traître et de vendu. Le droit à l’information et à la justice est une conquête du peuple. Et il y a eu beaucoup d’autres thèmes qui n’ont pas été acceptés par le gros des chavistes eux-mêmes. Le premier bloc (d’articles constitutionnels) était plus cohérent, mais le second contenait beaucoup d’erreurs de forme. Les dispositions transitoires contenues dans le texte ont engendré beaucoup d’incertitudes. Mais pour les chavistes, il est très difficile de voter contre Chávez.
L’opposition s’est un peu renforcée grâce aux voix des chavistes dissidents.
Il faut que nous tendions la main aux classes moyennes et que nous gouvernions aussi pour elles. On ne peut pas prétendre qu’il y a « quatre millions d’oligarques » au Venezuela, comme l’a affirmé Fidel Castro. Sur tout cela, il faut engager le débat. Qu’on veuille bien accepter mes observations sans aucun préjugé, il n’y a là rien d’extravagant. Et ne commençons pas à diaboliser les critiques.
Vous prenez des risques avec ces déclarations.
Eh bien, camarade, il faut bien que quelqu’un le dise. Les discours apocalyptiques ne nous servent en rien et ne nous font pas de bien. Nous ne pouvons pas vivre dans la haine, nous devons proposer une politique d’inclusion, sans pour autant renoncer aux transformations.
Traduction Marc Saint-Upéry
|1| Lancé début 2007, le PSUV n’a encore ni statuts, ni programme, ni structure bien définie et son congrès de fondation a été repoussé quatre fois, mais il dispose d’une commission disciplinaire dirigée par le gouverneur de l’État de Miranda, un militaire fidèle de Chávez qui a déjà pris des mesures d’expulsion.