Grâce à la campagne du socialiste Bernie Sanders, sénateur du Vermont, qui a gagné 22 élections primaires démocrates face à Hillary Clinton entre février et juin 2016, il existe désormais un espace de gauche dans la vie politique étatsunienne. Bien que Sanders ne soit plus candidat, sa présence sera tangible aux élections du 8 novembre, soit par le biais des candidat.e.s que son organisation soutient, soit plus indirectement, par le biais d’autres organisations, dont les Verts, qui bénéficient de la dynamique que sa campagne a créée. A quelques semaines des élections, en guise d’explication de son choix de vote dans la présidentielle, Jim Cohen s’interroge sur cet espace pluriel qui s’ouvre et sur les difficultés d’émergence d’une force politique de gauche durable.

 J’habite en France depuis plus de 35 ans, j’y ai acquis la nationalité il y a 25 ans et me sens tout à fait concerné par les affaires publiques françaises et européennes, mais je reste également citoyen des Etats-Unis et j’y vote encore, presque toujours par correspondance. Mais en février-mars 2016 j’ai participé brièvement à la campagne des élections primaires en faisant du porte-à-porte, pour le candidat à la présidence Bernie Sanders, sénateur du Vermont, dans mon Etat natal de Massachusetts, avant d’y voter le 1er mars.

Le 8 novembre prochain je compte voter – avec quelques réserves, mais sans hésitation – pour la candidate des Verts, Jill Stein, et son colisitier Ajamu Baraka. Le sens de ce choix ne saurait être à 100 pour cent transparent parce que le mode de scrutin de l’élection présidentielle (un seul tour, élection indirecte par « grand.e.s électeur.trice.s » interposé.e.s), contraint parfois à des choix compliqués qui nécessitent des explications patientes, j’y viendrai. Mais en termes très généraux ce vote signifie simplement ceci : grâce à la campagne de Bernie Sanders, dont le succès aux élections primaires démocrates a dépassé de très loin tout ce qu’on pouvait imaginer[1], il existe désormais un espace de gauche, visible et audible, dans la vie politique étatsunienne. De ce point de vue, la « révolution politique » que le sénateur appelle de ses vœux est déjà une réussite. Mon vote se veut une des manières possibles – même si ce n’est pas le choix conseillé par Bernie Sanders lui-même, dont je respecte les opinions – de contribuer à cette émergence d’une véritable force politique de gauche.

Deux stratégies et le lien entre elles

En quoi consiste précisément cette « révolution politique » ? L’expression est vague et c’était peut-être voulu, car, Bernie Sanders le savait pertinemment, la manière dont l’espace politique de gauche sera investi dans les mois et les années qui viennent relève inévitablement d’une discussion plurielle et ouverte, même s’il a son propre point de vue et ses propres projets. Les voies de la construction d’organisations politiques de gauche durables seront nécessairement plurielles et partiellement en tension. Il est impossible de résumer en quelques lignes les nombreuses initiatives conçues pour donner une vitalité à cette gauche naissante, mais schématiquement on peut distinguer, sur le plan strictement électoral, deux orientations distinctes. Premièrement, celle de Bernie Sanders, qui consiste à promouvoir des candidatures de gauche partout, à tous les échelons du système, de façon à pousser le Parti démocrate, principalement de l’intérieur, à adopter des positions que rejette le courant aujourd’hui hégémonique au sein du parti. La nouvelle organisation baptisée « Our Revolution », que Sanders a présentée au public le 24 août dernier, servira à organiser le soutien financier et à donner un minimum de cohérence programmatique à une centaine de candidat.e.s au Congrès et à divers poste à l’échelon des Etats – tou.te.s ne gagneront pas leurs primaires – et sans doute beaucoup plus dans l’avenir, une fois que le véhicule organisationnel sera en marche[2].

Il existe en réalité plus de candidat.e.s pro-Sanders que celles et ceux pris.es en charge par « Our Revolution ». Selon le site Berniecrats.net, 407 candidat.e.s à tous les échelons du système ont déclaré leur soutien à Sanders et à ses positions et parmi celles et ceux-là 260, soit 63,8 %, ont gagné leur élection primaire.

Celles et ceux qui ont adopté cette stratégie ne peuvent qu’en mesurer les difficultés inhérentes. La bataille qu’elle.il.s ont à mener n’est pas contre un appareil démocrate inerte qui va se laisser récupérer facilement par des insurgé.e.s de gauche, mais contre un appareil qui reste, dans ses plus hautes instances, sous le contrôle d’autres intérêts, défendant obstinément une autre ligne politique. Hillary Clinton, comme son mari, représentent depuis le début des années 1990 l’aile droite néolibérale et impériale du Parti démocrate, devenue l’aile dominante avec l’élection de Bill Clinton en 1992. A bien des égards Barack Obama lui-même relève de cette famille politique, quelles que soient les différences de sensibilité bien connues entre le président et son ex-Secrétaire d’Etat en matière de politique étrangère[3]. Les clintonien.ne.s ne lâcheront rien volontairement et conserveront dans un avenir proche un avantage matériel face à la gauche émergente grâce à leurs réseaux internationaux de financement et d’influence et grâce à leur proximité avec une élite stratégique et militaire qui ne renonce pas à la domination impériale[4].

L’autre orientation stratégique est celle adoptée par ceux qui considèrent que l’« establishment » du Parti démocrate, ayant amplement démontré sa volonté d’étouffer le courant de gauche naissant en dépit de l’énorme soutien électoral reçu par la candidature de Sanders, ne vaut pas la peine d’être transformé car il n’est pas transformable. Rester à l’intérieur du Parti démocrate pour le faire évoluer relève d’une stratégie longue et lente que les militant.e.s qui attendaient des changements plus instantanés voient comme une impasse. Ils préfèrent s’investir dans d’autres organisations, partisanes ou mouvementistes. En 2016, la candidature de Jill Stein représente tant bien que mal cette stratégie. Avant d’être investie comme candidate de son parti, Jill Stein a même proposé à Bernie Sanders de la rejoindre chez les Verts et d’être candidat à sa place afin de capitaliser l’extraordinaire dynamique de soutien à sa candidature dans les primaires. Il allait de soi que Sanders n’allait pas donner suite à cette offre : pas question pour lui d’augmenter les chances de victoire de Trump ou de sacrifier tout le travail qu’il a réalisé en tant qu’homme politique indépendant dans l’orbite du Parti démocrate depuis plusieurs années. Mais une minorité non négligeable de ses sympathisant.e.s jeunes et moins jeunes ont rêvé d’une telle alliance, persuadé.e.s de son succès. Ils sont parmi les premiers à appeler à voter Stein. Je les ai rejoints par une autre voie.

Les deux stratégies ne donnent pas a priori l’impression d’être compatibles, ce qui laisse planer des doutes sur l’avenir de la « révolution politique ». J’appelle de mes vœux une conversation politique permanente qui permette que les frictions inévitables entre ces deux orientations restent de l’ordre de tensions créatrices sans dégénérer en polarisations durables divisant un bloc de gauche en construction. La stratégie de la gauche pour augmenter sa sphère d’influence passe à la fois par les Démocrates et par les Verts, à différents échelons du système, ainsi que par d’autres acteurs politiques liés aux mouvements sociaux, aux syndicats, aux expériences démocratiques à l’échelle locale, aux initiatives en matière d’éducation politique. Les Verts (Green Party) et d’autres organisations telles que le Working Families Party peuvent, à différents échelons du système, jouer un rôle d’aiguillon pour l’aile progressiste émergent du Parti démocrate. Les organisateurs de la People’s Convention, une rencontre d’inspiration « Occupy » qui a eu lieu à Philadelphie le 23 juillet dernier, deux jours avant l’ouverture de la Convention démocrate, ont prôné une approche « omnipartisane » des tâches de construction que la gauche a devant elle. Je reprends volontiers à mon compte la formule.

Une telle orientation stratégique, qui implique un soutien à la fois aux efforts de l’aile Sanders du Parti démocrate et à tout ce qui fait avancer le mouvement progressiste en dehors du Parti démocrate, ne débouche pas sur une consigne de vote simple et unique.

La « plateforme » démocrate n’est pas un programme

Lorsque Bernie Sanders a fini, le 12 juillet dernier, par appeler à voter pour Hillary Clinton afin de battre Donald Trump, il faisait ce que sa stratégie dictait. L’establishment démocrate et les médias dans sa mouvance tentaient depuis des semaines de faire pression sur Sanders pour qu’il abandonne la course aux délégué.e.s et appelle à soutenir Hillary Clinton. Sanders les a obligés à patienter et a fait payer aussi cher que possible son soutien, en exigeant en retour des engagements de la part de la candidate mais aussi de la part du Parti démocrate dans son ensemble.

Qu’a obtenu le camp Sanders ? Pas encore une « révolution politique », mais quelques concessions verbales de Hillary Clinton, notamment en faveur de la gratuité des études supérieures dans les institutions publiques ; quelques changements dans le règlement du Democratic National Committee (moins de superdélégué.e.s non élu.e.s en 2020, mais il y en aura quand même) ; quelques changements notables adoptés dans la « plateforme » démocrate, par exemple à propos du salaire minimum national : un minimum national de 15 dollars de l’heure est revendiqué, ce qui reflète notamment des luttes menées avec succès dans plusieurs villes et Etats. Les revendications de Black Lives Matter trouvent aussi dans la plateforme un début de prise en compte. Bernie Sanders a-t-il raison de déclarer que cette plateforme est « la plus progressiste de l’histoire » ? Sur le papier peut-être, mais chacun sait que la plateforme ne vaut pas programme et que les candidats ne sont jamais tenus par ce document.

D’autres propositions portées par la gauche ont été repoussées, notamment l’opposition au Partenariat transpacifique et la prohibition de la fracturation hydraulique. En dépit de ces revers, on peut dire que le débat politique au sein du Parti démocrate a commencé à évoluer. Pour la première fois, grâce à la présence de personnes nommées par Sanders dans la commission de la plateforme, la question palestinienne a été débattue. Le professeur Cornel West a eu l’occasion de défendre avec éloquence le principe de l’égalité des droits des Palestiniens et des Israéliens, mais la résolution s’inspirant de son plaidoyer n’a pas été retenue[5].

Contrairement à ceux qui prétendent que Hillary Clinton a été obligée de « virer à gauche » sous la pression de la campagne Sanders, il faut reconnaître que la candidate ne se laissera pas facilement dévier de sa ligne politique de droite. Elle défend des positions néolibérales légèrement teintées de « social » et en politique étrangère elle est bien connue pour ses positions « libérales-interventionnistes » qui ont attiré vers sa candidature une brochette de néoconservateurs, dont les instigateurs de la guerre en Irak sous Bush. Dans l’ensemble Bernie Sanders a peu évoqué ces questions lors de la campagne des primaires mais une fois il s’est clairement démarqué de Hillary Clinton en déclarant le 12 février qu’à la différence de la candidate, « Henry Kissinger n’est pas mon ami » et s’est déclaré à diverses reprises contre les interventions armées visant à renverser des régimes étrangers. Ce clivage gardera toute son actualité dans les années qui viennent[6].

Faire barrage à Trump

Sanders savait bien sûr que bon nombre de celles et ceux qui s’étaient mobilisé.e.s en sa faveur, notamment parmi les plus militant.e.s, seraient extrêmement déçu.e.s par son appel à voter pour Clinton. Les caméras de la télévision ne l’ont pas beaucoup montré, mais des centaines de délégué.e.s de Sanders à la Convention démocrate à Philadelphie (25-28 juillet) étaient en dissidence ouverte. Pour les raisons signalées plus haut, Sanders ne pouvait pas refuser une forme de soutien à Hillary Clinton, d’autant plus que, jusqu’à la fin juillet, les sondages donnaient à Donald Trump de réelles chances de victoire.

Une petite frange de militant.e.s radicalisé.e.s tenait à l’époque un raisonnement étrange selon lequel une victoire de Trump aurait un effet d’électrochoc servant à galvaniser les forces du changement que la campagne de Sanders commençait à révéler et à rassembler. Mais un tel raisonnement sous-estimait gravement le caractère fascisant de la dynamique Trump. Le milliardaire a gagné l’investiture républicaine en débordant sur leur droite tous les autres candidats républicains, déjà très conservateurs, en libérant la parole raciste et xénophobe, et pas seulement la parole. Tous les groupes racistes/ethnonationalistes extrémistes sont ravis par sa candidature, qui tend à légitimer leur existence. Trump cherche en effet à mobiliser cette minorité active de « blanc.he.s en colère » qui jouent sur la peur d’une société où les blanc.he.s seront minoritaires (ce qui est d’ailleurs probable, d’ici 2050). Trump ne cache pas son intention de sévir contre tou.te.s les immigré.e.s en situation irrégulière et de faire construire un mur sur toute la frontière Etats-Unis-Mexique. Le mépris des Musulman.e.s qu’il affiche ne peut qu’encourager les réflexes de haine et les passages à l’acte parmi ses adeptes. Quelles que soient les craintes qu’une une présidence Clinton peut inspirer, et elles sont considérables, la perspective d’une présidence Trump reste plus désastreuse encore. Comme Bernie Sanders et comme tout un large bloc de citoyen.ne.s qui d’une manière ou d’une autre s’opposent à la barbarie, je considère qu’il est inexcusable de faciliter une possible victoire électorale de Trump. Il vaut mieux lutter contre une adversaire bien connue qui ne manque pas de cohérence politique, même si on peut estimer qu’elle est aussi dépourvue de principes que le personnage qu’elle a inspiré dans la série House of Cards.

Depuis la Convention démocrate et l’investiture officielle de Hillary Clinton, fin juillet, la situation évolue : Trump chute dans les sondages parce que son extrémisme, sa hargne raciste, son ignorance l’ont rattrapé, ainsi que son incapacité à reconnaître les bonnes occasions de se taire, ou à doter sa campagne d’un cadre organisationnel stable. Ses tentatives récentes (depuis fin août) de faire preuve de davantage de modération s’avèrent faibles et tardives. Résultat : le nombre d’Etats où les électeur.trice.s hésitent entre Clinton et Trump diminue, au profit de la Démocrate. Pour perdre le 8 novembre, il faudrait que Hillary Clinton le fasse exprès. En dépit des résultats de Sanders dans les primaires, elle estime ne rien devoir à la gauche et va plutôt à la recherche d’électeur.trice.s républicain.e.s rebuté.e.s par Trump (elles et ils sont nombreu.x.ses).

Voter par conviction, voter par pragmatisme

Une discussion de fond traverse la gauche à propos du sens du vote : doit-on considérer le vote comme un acte politique strictement pragmatique, ou est-ce un acte de témoignage, une expression des convictions profondes de chacun.e ? En l’absence d’un système à deux tours de scrutin comme en France, ce débat se complique, puisqu’on n’a pas le « luxe » de voter pour ses convictions au premier tour et de se rabattre sur un choix plus pragmatique au second. Noam Chomsky, qu’on peut classer parmi les penseurs anarcho-libertaires, a pris position de façon surprenante dans ce débat en plaidant pour le pragmatisme, notamment face à quelqu’un d’aussi imprévisible et dangereux que Trump. Chomsky pense qu’il y a donc un sens à soutenir le moindre des deux maux[7], mais admet que dans les Etats où Trump n’a aucune chance de gagner, le problème se pose différemment.

Comme le suggère Chomsky, si je votais dans un Etat où le résultat est incertain – par exemple, l’Ohio ou la Floride – je suivrais le raisonnement pragmatiste en votant, malgré toutes mes objections, pour Hillary Clinton. Mais puisque je vote dans le Massachusetts (comme Chomsky, soit dit en passant…), où Trump a zéro chance de passer, je me permettrai de suspendre le pragmatisme et de m’exprimer directement en tant qu’électeur de gauche. En votant pour une candidate, Jill Stein, dont le programme ressemble beaucoup à celui de Sanders, j’aurai le sentiment de faire œuvre utile, ne serait-ce qu’en marquant ma défiance à l’égard de Clinton, en rappelant à son camp que la gauche existe, qu’elle ne baissera pas sa garde, qu’elle n’oubliera pas les raisons de principe qu’elle a de s’opposer à presque tous les aspects de sa politique.

Les Verts, force crédible ?

Cela dit, j’ai des réserves par rapport à la candidature que je compte soutenir. Jill Stein et Ajamu  Baraka comptent se présenter dans autant d’Etats que possible. Leur nom figurera sur le bulletin de vote dans au moins 39 Etats, dont plusieurs où la bataille devrait être serrée, en refusant la pertinence de la distinction entre Etats sûrs et moins sûrs pour les Démocrates. Je mesure le danger que cela présente et ne vois aucune raison de taire cette réserve. Au fond, les Verts veulent se convaincre qu’il est possible de construire, en dehors du champ bipartisan national, un parti de gauche électoralement viable voire capable de bouleverser durablement le jeu. Je suis convaincu avec d’autres qu’un petit parti de gauche ne saurait prospérer qu’à condition de travailler en coordination autant que possible – ce qui ne veut pas dire en parfaite harmonie – avec l’aile gauche émergente du Parti démocrate.

Je suis d’accord avec le duo Stein-Baraka sur beaucoup des critiques qu’ils formulent de l’ordre social et économique en place, et qui sont de l’ordre des grands principes d’une politique de gauche aujourd’hui. Je m’oppose évidemment avec eux aux inégalités, à la pauvreté, aux injustices liées au racisme, aux guerres en cours ou annoncées, au désastre climatique qui s’annonce, au système politique corrompu par l’argent. Je reprends volontiers à mon compte le slogan  « People, planet and peace over profit » (« Les personnes, la planète et la paix l’emportent sur les profits ») [8]. Je trouve encourageant l’intérêt qu’ils portent au mouvement dit Black Lives Matter, qui entre justement dans une phase cruciale de formulation d’engagements programmatiques. A titre personnel je suis content de pouvoir m’offrir le luxe de voter pour des candidat.e.s qui contestent le soutien quasi inconditionnel des Etats-Unis à Israël et plaident pour les droits civils, sociaux et politiques des Palestiniens.

Allons plus loin : à la différence de Sanders, qui est plus modéré sur la question, Stein et Baraka prônent une stratégie de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) face à Israël. C’est une position qui est certaine de leur attirer les foudres des défenseurs Israël, ses colonisations et son impunité, Hillary Clinton en premier, à un moment où les partisans du BDS sont confrontés à la multiplication de restrictions légales à leurs activités.

En somme, sur le plan des grands principes les positions des Verts me conviennent assez largement. Mais j’ai deux craintes : premièrement, que ces idées sympathiques manquent de concret, c’est-à-dire de traduction pratique et politique. Deuxièmement, je crains que les candidat.e.s des Verts n’aient pas le talent d’un Bernie Sanders pour rassembler un public large et diversifié en communiquant une analyse critique forte du système dans un langage simple et pédagogique. Stein et Baraka sont certes beaucoup plus présentables que les sectaires de certains groupuscules d’extrême gauche, mais je doute de leur capacité à toucher un public populaire (de toutes « origines »), au-delà des couches moyennes diplômées déjà bien sensibilisées aux inégalités sociales, au racisme systémique, aux dangers du changement climatique et au militarisme au service des visées impériales.

Je ne serais pas mécontent de voir la candidature des Verts servir d’avertissement sérieux au camp Clinton, sans pour autant donner le moindre avantage à Trump. Inutile cependant de se faire des illusions sur leur score probable. Ils sont actuellement (début septembre) à 3-4 % dans les sondages nationalement. Bien sûr, ce n’est pas la moyenne nationale qui compte dans l’élection présidentielle américaine et il n’est pas exclu que leur résultat dans certains Etats crée la surprise.

Il n’y aura en tout cas pas de miracle, pas d’apparition immédiate et spontanée d’une force politique de gauche durable. La bataille pour construire une telle force ne fait que commencer. La gauche Sanders et la gauche hors-Parti démocrate entrent dans une logique de concurrence qui pourrait à mon avis s’avérer constructive, notamment si ces deux forces ne restent pas obsessionnellement concentrées sur la présidence mais se donnent aussi la peine de s’implanter localement, d’élaborer des stratégies de changement tangible, de présenter des candidat.e.s à tous les échelons du système. Selon les lieux et les circonstances, je compte soutenir ces deux ondes d’une même dynamique visant à doter la gauche d’un cadre organisationnel plus permanent et d’une véritable capacité politique à façonner l’avenir.

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Nina Turner, une ex-sénatrice d’Etat (state senator) de l’Ohio, prend la parole à la People’s Convention (Philadelphie, 23 juillet 2016), assemblée d’inspiration « Occupy » où supporters de Bernie Sanders et de Jill Stein se côtoyaient. Alliée de Bernie Sanders, Turner a été empêchée par la Democratic National Committee de prendre la parole en faveur du Sénateur à la Convention le 25 juillet. Elle fait partie des dissident.e.s que l’ « establishment » du Parti démocrate tient en grippe.

Notes

[1] Sanders a gagné des élections primaires ou des caucus dans 22 Etats fédérés sur 50 et s’est trouvé à moins de trois points de la victoire dans six autres Etats dont certains très peuplés : Illinois, Missouri, Massachusetts, Nouveau Mexique, Iowa, Kentucky. Il a remporté 46 % des délégués élus de la Convention démocrate – 1846 délégué.e.s au total – mais seulement une petite minorité des « superdélégué.e.s » non élu.e.s, au nombre de 700 environ.

[2] L’organisation « Our Revolution » n’a pas vu le jour sous les meilleurs auspices. Aussitôt créée, sa forme (son cadre légal et fiscal) et ses méthodes (notamment le choix d’outils de communication) ont été contestées par plusieurs collaborateurs de Sanders qui ont préféré démissionner. Mais il est beaucoup trop tôt pour en faire un véritable bilan. Nous verrons après le 8 novembre combien de candidat.e.s soutenu.e.s par cette organisation seront élu.e.s au final et dans quelle mesure ils arriveront à créer un meilleur rapport de forces pour la gauche. Voir ici un débat sur Democracy Now entre un candidat resté eu sein de « Our Revolution » et une candidate qui a décidé de quitter le mouvement.

[3] Cf. Mark Landler, Alter Egos: Hillary Clinton, Barack Obama and the Twilight Struggle over American Power, Randon House, 2016.

[4] Voir les révélations récentes sur le rôle de la fondation Clinton comme instrument de trafic d’influence internationale. Jeff Stein, « Four experts make the case that the Clinton Foundation’s fundraising was troubling », Vox Policy and Politics, 25 août 2016. Voir : http://www.vox.com/2016/8/25/12615340/hillary-clinton-foundation

[5] Peu après ces délibérations et quelques jours avant l’ouverture de la Convention démocrate, Cornel West a déclaré son soutien à la candidature de Jill Stein. Il s’en explique à Democracy Now le 18 juillet 2016 : http://www.democracynow.org/2016/7/18/why_a_member_of_the_democratic

[6] Dan Froomkin, “Henry Kissinger’s War Crimes are Central to the Divide between Hillary Clinton and Bernie Sanders”, The Intercept, 12 février 2016. Voir : https://theintercept.com/2016/02/12/henry-kissingers-war-crimes-are-central-to-the-divide-between-hillary-clinton-and-bernie-sanders/

[7] John Hallee et Noam Chomsky, “Noam Chomsky’s 8-Point Rationale for Voting for the Lesser Evil Presidential Candidate”, site de Noam Chomsky, repris par Alternet.org, 6 août 2016. Voir : http://www.alternet.org/election-2016/noam-chomskys-8-point-rationale-voting-lesser-evil-presidential-candidate

[8] Voici ici une conversation sur Democracy Now avec Jill Stein et Ajamu Baraka, le 18 août 2016.