Dans cet entretien, Mathilde Panot nous présente l’action de l’association VoisinMalin, qui opère depuis 2011 dans plusieurs quartiers délaissés par les services publics. Les « voisin-e-s », des personnes ressources du quartier, sont mobilisés pour aller à la rencontre des habitants et, forts de cette proximité sociale, permettent de retisser leurs liens -très distendus- avec les différents services publics.
Cette pratique partage avec le community organizing le même principe d’engagement des habitants des quartiers populaires dans la résolution de leurs problèmes, ainsi qu’un certain répertoire d’action, comme le porte-à-porte. Cependant, il convient de distinguer l’expérience de VoisinMalin de la méthode forgée par Saul Alinsky. Les « héritiers » de celui-ci, les community organizeurs vont prôner l’auto-organisation, l’action collective, vont construire le conflit et les rapports de force face aux inégalités de pouvoirs. À l’inverse, l’expérience décrite dans cet entretien, s’inscrit davantage dans une logique community building[1]. Les « voisins » ne cherchent pas à remettre en cause les inégalités structurelles, ni à enclencher des actions collectives, mais de faire en sorte que les services publics fonctionnent au mieux dans l’intérêt des habitants. Ainsi, ces community builders transmettent l’information de leurs « partenaires » institutionnels, rapprochent les habitants des services publics, participent à construire leur autonomie vis-à-vis de ceux-ci, etc. Si VoisinMalin s’attaque bien aux dysfonctionnements en faisant notamment remonter la parole des habitants, c’est la coopération avec les acteurs institutionnels qui est visée.
Mouvements : Est-ce que vous pouvez nous rappeler l’histoire de VoisinMalin, son projet social ?
VoisinMalin[2] a été créé en 2010 par Anne Charpy. Elle était directrice du groupement d’intérêt public de Viry-Châtillon/Grigny et menait des grands projets de transformation urbaine. Elle a été frappée par l’absence de concertation des habitants dans ces projets, ils ne se saisissaient pas des enjeux qui, pourtant, les concernaient directement. C’est à partir de ce constat qu’elle a eu l’idée de créer VoisinMalin.
L’association a commencé dans la ville de Courcouronnes, puis s’est étendue à d’autres villes d’Essonne et de Seine-Saint-Denis. Aujourd’hui VoisinMalin est aussi présent à Paris, dans le 19e, et en septembre 2014, nous avons ouvert un site à Lille.
L’idée de VoisinMalin, c’est qu’il y a des quartiers où les habitants se sentent abandonnés, où il n’y a plus de lien de confiance entre les habitants et les institutions, les bailleurs. Et souvent, ces habitants ne sont pas consultés sur les projets qui les concernent. Pour faciliter l’accès à l’information, mais aussi aux droits, l’idée c’est que ça soit un pair qui aille à la rencontre des habitants. Quand quelqu’un vit la même situation que toi, utilise les mêmes mots et parle les mêmes langues que toi, le message est compris différemment. C’est le rôle des « voisins » : des habitants, que l’on a identifiés comme des personnes ressources. Ils passent dans le quartier, souvent en porte à porte, donnent de l’information et recréent du lien.
VoisinMalin intervient seulement dans des territoires relevant de la politique de la ville, des villes, où l’on a le soutien des institutions, et du maire en particulier. Ce soutien est important, car il permet d’être introduit auprès des acteurs locaux, de rencontrer plus facilement les services de l’État, etc. Mais, si on cherche un appui des acteurs locaux, pour nous il est nécessaire de rester indépendant : c’est pourquoi, dans notre modèle économique, les subventions de leur part représentent une très petite partie de notre budget.
M : Comment procédez-vous concrètement, quel processus suivez-vous ?
Quand on s’installe, on commence par recruter un manager de projet, le poste que j’occupe actuellement. Pendant les trois premiers mois sur le territoire on rencontre les acteurs locaux : les associations, les bailleurs, la mairie, les missions locales, etc. On explique le projet, car forcément au début tout le monde ne comprend pas : si l’on vient sur leur plate-bande ou non… On profite de ce temps pour s’immerger dans le quartier, on essaye de repérer les problématiques qui lui sont spécifiques.
Après ces trois mois, on recrute une équipe de « voisins » à partir des différents liens que l’on a tissés avec les acteurs : on nous recommande des personnes. C’est des personnes qui sont souvent déjà impliquées dans la vie associative, ou dans la vie de l’école par exemple. Et plus nos équipes prennent en maturité, plus ce sont les « voisins » eux-mêmes qui nous recommandent d’autres habitants.
Le critère principal pour être « voisin », c’est l’envie d’aider son quartier. La principale motivation n’est pas financière : ils sont employés en CDI entre 12 et 18 heures par mois, ce n’est donc qu’un complément de revenu ; évidemment qu’il y en a que ça aide beaucoup financièrement, notamment ceux qui n’ont pas de boulot.
Une fois que l’on a notre équipe, on commence nos premières missions avec des partenaires, que ça soit les bailleurs, la mairie, l’atelier santé ville, etc.
M: Pourquoi VoisinMalin propose aux « voisins » d’être salarié-e-s plutôt que bénévoles ?
Déjà parce que l’on veut valoriser financièrement les compétences des personnes des quartiers populaires et cela passe notamment par la rémunération. Mais aussi, parce que les partenaires avec qui on travaille font un constat d’échec de leurs pratiques avec les habitants, donc ils sont prêts à payer les « voisins », à donner de la valeur à ce travail qui est fait sur le quartier. Nous avons aussi la conviction que, si l’on veut travailler sur du long terme avec les habitants, il faut les rémunérer, sans que cela prenne la place d’emplois existants. C’est pour cette raison que l’on reste sur des temps très partiels, ça nous permet d’éviter que les « voisins » deviennent des habitants professionnels : ils n’auraient plus la même envie devant les portes et ne seraient plus dans la même situation que les gens qu’ils rencontrent.
M: Mais aucun habitant ne souhaite travailler plus ? Faire de ce travail un vrai emploi ?
On a déjà eu la demande. Mais la question de la professionnalisation de l’habitant pose le problème que j’ai précédemment évoqué, ça remettrait en cause le positionnement comme voisin, habitant du quartier. Ensuite, du point de vue du projet de l’association, mieux vaut avoir plusieurs personnes, 3 personnes à 12 heures plutôt qu’une à 35 heures par mois, parce que ces personnes n’ont pas le même réseau, ni les mêmes compétences. C’est important de garder une équipe à l’image de la diversité du quartier.
M: Qui décide des campagnes menées ? C’est votre association, les habitants ou les bailleurs de fonds, comme Veolia ou la Poste qui vous commandent et définissent les missions ?
Aujourd’hui la plupart des missions sont proposées par les partenaires mais nous ne travaillons pas à la demande, nous construisons ensemble les missions en partant des besoins réels du territoire. C’est le cas de la mission avec Veolia à Aulnay-sous-Bois, qui vise la maîtrise de la consommation d’eau. C’est aussi le cas avec La Poste à Grigny, où l’on intervenait auprès des habitants pour les familiariser avec les machines automatiques et leur apprendre à les utiliser. Et de par notre expérience, nous sommes toujours force de propositions en se basant sur la connaissance du quartier et des demandes émergeant des habitants.
Car grâce au porte-à-porte, et parce que les « voisins » vivent dans le quartier, on détecte des problématiques. A Grigny, la mission « punaises de lit » est née de la pression des habitants qui n’en pouvaient plus, qui a trouvé un écho chez le bailleur de logement social.
M: Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement cette mission, pour que l’on comprenne l’action des « voisins » ?
Pour commencer, il faut décrire la ville. De mon côté, je travaille sur Grigny. C’est un territoire de 30 000 habitants. 92% du territoire est en géographie prioritaire. Sur la Ville, il y a deux quartiers principaux, le premier est la Grande Borne. Un quartier construit dans les années 70, par un architecte utopiste. Il a construit un quartier entièrement piéton, les voies pour les transports sont sur l’extérieur. Il voulait construire une cité des enfants : c’est des bâtiments qui font quatre étages maximum, installés pour former un labyrinthe, ça tourne tout le temps, avec des jeux construits par des artistes et une grande plaine centrale. C’est un bailleur social qui est propriétaire de l’ensemble. Ce quartier est séparé du reste de la ville par une autoroute. Il est extrêmement relégué, il n’y a plus de service public : il n y a pas de banque, c’est impossible de retirer de l’argent, SOS médecin refuse de venir depuis 1994, tu ne peux pas te faire livrer un colis… Il y a un vrai besoin de reconnecter les personnes avec les institutions.
De l’autre côté, près de la gare, tu as Grigny 2, qui est la deuxième plus grosse copropriété d’Europe. 5 000 logements en copropriété : forcément les décisions sont compliquées à prendre, c’est dégradé et les charges explosent : les habitants paient pour certains plusieurs centaines d’euros de charges par mois…
Après, il y a aussi le centre-ville, l’ancien village de Grigny, mais nous on travaille principalement sur le quartier de la Grande Borne, on est présent là-bas depuis 3 ans. Depuis 2015 on commence à travailler sur Grigny 2.
Dans mon équipe il y a 12 « voisins », ils viennent de ces deux quartiers. Ils parlent 10 langues. Notre première mission a été sur les punaises de lits ; c’était un véritable problème de santé publique à Grigny, ce n’était plus du tout géré par le bailleur. Sauf que c’était devenu impossible : des familles faisaient des scandales à l’agence en menaçant de jeter des punaises sur les agents d’accueil, certains ont jeté tout leur mobilier à cause des punaises et dormaient par terre avec leurs enfants… En faisant du porte-à-porte, on a rencontré des gens qui prenaient des antidépresseurs depuis deux ans parce qu’ils n’arrivaient plus à dormir, ne recevaient plus personne chez eux. Ils étaient isolés, stigmatisés à l’école et au boulot, etc. Quand j’ai rencontré le directeur de l’agence HLM, il m’a dit : « si on ne fait rien, il va y avoir des suicides sur le parc social. Il faut absolument faire quelque chose ».
On a mené une grosse action de porte-à-porte sur certains quartiers où l’on pensait que c’était infesté. Le problème avec les punaises de lit, c’est que les gens en ont honte, qu’ils n’en parlent pas car dans l’imaginaire collectif c’est lié à la saleté… Et on se retrouve avec des gens qui infestent leurs voisins.
Les « voisins » sont allés voir tout le monde, en porte-à-porte « à l’aveugle », pour expliquer, transmettre une information fiable et claire sur ce que c’est les punaises de lit. Expliquer que ça n’a rien à voir avec l’hygiène, même dans un appartement où l’on peut manger par terre il peut y avoir des punaises de lit ! On proposait un test pour savoir s’il en avait, parce que certains savaient qu’ils avaient des petites bêtes sans savoir que c’était des punaises de lit. On expliquait aussi la procédure à suivre et on a accompagné des familles qui s’étaient signalées au gardien pour la préparation du logement. Car la préparation du logement infesté, c’est très lourd : c’est comme un déménagement. Il faut laver tout le linge, pousser les meubles, et si c’est mal fait il y a une réinfection derrière. Le bailleur payait toutes les interventions, c’était gratuit pour les locataires, la situation était tellement dégradée qu’il fallait faire quelque chose.
On a commencé une première mission sur le sujet en 2013, mais on s’est aperçu que l’entreprise qui faisait la désinsectisation avec le bailleur ne tenait pas ses engagements. Les gens préparaient leurs logements et puis l’entreprise ne venait pas. Des heures de préparation pour rien… Parfois elle venait, mais pas aux heures prévues. Les interventions étaient prévues le matin, puisque les gens doivent attendre 6 heures avant de réintégrer le logement. Mais comme ils arrivaient en retard, parfois carrément dans l’après-midi, à 20h les familles étaient encore dehors…
Une chose est très importante dans ce que l’on fait : il faut que ça soit dans l’intérêt des habitants. Sinon on refuse une mission. Il faut aussi que notre parole soit crédible, sans quoi les gens n’auraient plus confiance en nous. Alors on a expliqué au bailleur que ce n’était plus possible, que le prestataire ne respectait pas ses engagements et que l’on refusait de continuer. On a arrêté pendant 4-5 mois, le temps que le bailleur fasse un avenant avec son prestataire. Il y a eu une amélioration du service, l’entreprise venait au rendez-vous, travaillait plus rapidement. On a relancé la mission pendant un an. En 2013 on avait une trentaine de signalements en sept mois, sur la première moitié de l’année 2015 on en a eu plus de 200, ça veut dire que le bouche à oreille fonctionne, on a réussi à déstigmatiser la chose. Avant notre intervention le taux de réussite de désinsectisation était de 5% ; c’est-à-dire que l’entreprise venait et dans 5 % des cas seulement il n’y avait plus de punaise de lit, c’était dramatique. Maintenant, le taux de réussite est de 92%. Les 8% où ça ne fonctionne pas, c’est des cas où il faudrait faire des travaux, très lourds, très spéciaux. Donc il y a une marge de progression, mais aujourd’hui le problème est géré.
M: Quand les « voisins » vont à la rencontre des habitants, lors des porte-à-porte, ils ne parlent que d’un seul sujet ?
On a toujours un thème précis, mais quand on réalise des portes à portes on ne parle jamais uniquement de ce sujet. Comme on discute avec les gens, ils nous parlent des autres problèmes de leur quotidien, du quartier.
Pour répondre à leurs questions, on a fait un « guide des ressources », spécifique à chaque territoire. Les « voisins » vont à la rencontre d’acteurs importants : le CCAS, la Maison de la santé, des associations qui font des accueils parents-enfants, des associations d’insertion emploi. Ils vont rencontrer des acteurs importants, leur demandent ce qu’ils font, les conditions pour participer à leurs activités. Et petit à petit on se fait un guide, juste pour nous, où l’on note ce que fait tel ou telle structure. Quand on oriente pour la première fois un habitant sur une structure, ça nous permet de lui donner l’adresse, les horaires d’ouverture, mais aussi le nom d’une personne.
Les « voisins » sont vraiment identifiés comme des habitants ressources : c’est-à-dire que les habitants vont vers eux pour leur demander de l’information. On essaye de faire au mieux notre rôle de lien, et orienter les habitants sur des structures qui pourront les aider, les accompagner.
M : Finalement, vous êtes une sorte de Google physique et à domicile. Vous cherchez et vous donnez l’information.
Oui, mais pas seulement. Les « voisins » font aussi du lien, irriguent dans tout le quartier. Par exemple, la mission que l’on a réalisée sur le dépistage du cancer du sein. Comme les « voisins » habitent dans le quartier, ils parlent à leurs voisins, à leurs proches, dans les associations dans lesquels ils sont actifs : certains donnent des cours de français, sont dans les conseils de voisinage, etc. L’information passe par le porte-à-porte, mais elle est aussi démultipliée parce que les « voisins » vivent dans le quartier et l’information se répand par d’autres canaux.
M : Cette campagne sur le cancer du sein, qui vous l’avait commandé ?
C’était l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui l’a financée, mais on a construit cette mission en lien avec un comité de pilotage sur le dépistage du cancer qui s’est construit sur Grigny-Viry. Dans le comité, il y a à la fois le CCAS, l’ARS, l’Atelier santé ville, le chargé de mission santé de la mairie, des associations du territoire qui travaillent dessus et quelques habitants. Si l’ARS finance, nos partenaires, c’est l’ensemble du comité de pilotage.
Pour cette mission, on a travaillé avec l’ADMC 91, l’association de dépistage des maladies cancéreuses en Essonne. Ils ont formé les « voisins » pendant trois heures, sur les aspects techniques. Ensuite on fait un moment entre nous, sur les mots que l’on va utiliser, choisir pour les porte-à-porte. Avoir un langage non stigmatisant, non technique ni technocrate est important. Au lieu de dire « dépistage », on va dire « contrôle de routine », c’est une « voisine » qui a eu cette idée : « il faut dire contrôle de routine, comme on contrôle ses yeux ». Au lieu de dire « mammographie » on disait « radio des seins ». On a une réflexion sur ce que l’on veut apporter comme message et comment on l’exprime.
M : VoisinMalin est une modalité, complémentaire, utilisée par les institutions pour informer sur ce sujet ?
Exactement, nous on s’inscrit dans des actions locales, VoisinMalin n’est qu’un levier parmi d’autres, on s’inscrit dans une dynamique locale.
M : Vous acceptez toutes les missions qui vous sont confiées par les institutions ? C’est eux qui, finalement, décident des actions prioritaires ?
On n’accepte que des missions qui sont dans l’intérêt général des habitants. C’est une décision prise en équipe. Il nous est arrivé de dire non à des missions qui ne contribuaient pas à améliorer le quotidien des habitants. Avec l’expérience, les « voisins » savent de mieux en mieux construire les messages. Il y a des missions qui ont été compliquées au début, on venait avec un message très moralisateur « ne faites pas ci, ne faites pas ça » à propos de la propreté et du vivre ensemble. Les « voisins » disaient : « si quelqu’un vient me voir et me dit ça chez moi je n’écoute pas. » Le message était négatif. On a retravaillé ce message avec la partenaire. Avec les « voisins », on a complètement retravaillé la mission : on l’a recentré, car on parlait de trop de chose en même temps, et surtout on a abandonné le discours culpabilisant sur les pratiques. Ça ne fonctionne pas, ça n’a aucun impact, et c’est mal reçu. Pour nous il est très important d’aller voir les gens si on il peut y avoir un changement positif derrière, on n’engage pas notre parole si rien ne se fait après notre passage.
M : Si j’ai bien compris, vous mettez en place des missions sur la demande ou en collaboration d’un partenaire, et seulement s’il y a un besoin, que VoisinMalin et ses « voisin-e-s » jugent réel. Mais aujourd’hui, certains services publics sont privatisés, se retrouvent en concurrence ; si par exemple, la SNCF ou EDF vous confie une mission, ça ne risque pas de poser problème ?
En réalité on s’adapte au territoire. On a fait des missions sur la consommation d’eau. Quand c’est sur un territoire où l’eau est en régie municipale, on va travailler avec la régie publique de l’eau. Quand on est sur un territoire où c’est un partenaire privé comme Veolia, on va travailler avec eux parce que c’est eux qui gèrent le réseau d’eau. Dans ce cas on s’adapte.
Après, ça nous est arrivé qu’un opérateur téléphonique, une entreprise concurrentielle donc, nous demande d’intervenir sur la fracture numérique. On trouvait l’idée intéressante, mais on s’est vite rendu compte qu’ils voulaient que les « voisins » fassent de la pub pour leur produit… pour nous c’est niet. On ne fait pas de pub pour vendre des choses aux habitants.
M : Vous faites aussi directement des campagnes pour la Mairie ?
Oui, par exemple on a travaillé avec la Mairie sur la question des rythmes scolaires. Elle avait commencé par faire passer un questionnaire auprès des parents d’élèves, sur ce qu’ils voulaient pour leurs enfants quand la réforme serait mise en place. Nous, on est passé en porte à porte avec l’idée de toucher des gens qui avaient des enfants à l’école mais n’avaient pas encore rempli le questionnaire, qui sont moins dans les réseaux de parents d’élèves, moins en lien avec l’école peut-être, et n’auraient pas donné leur avis sans ça. C’était aussi des personnes qui parlent mal le français, ou ne savent pas le lire ou l’écrire. L’idée c’est que ces personnes puissent participer à la réflexion sur ce qu’elles souhaitent pour leurs enfants.
M : Vous êtes toujours bien accueilli par les habitants ? Vous êtes son prestataire, ça ne pose pas de problème de légitimité ?
Oui, mais tout comme on est en partenariat avec le bailleur avec qui les habitants ont des conflits. Mais on est là pour faire du lien, pour faire remonter les choses. On est très bien reçu, on nous ouvre la porte facilement, car ils ont déjà vu les « voisins » au marché, à l’école, etc. Et les « voisins » sont là avec leurs badges VoisinMalin : on est avant tout cette association, et on travaille en partenariat avec. Donc les habitants font bien la différence sur qui vient les voir. Une « voisine » dit par exemple : « on est l’oreille qui écoute la colère ». Ça arrive souvent que l’on rencontre des personnes très énervées contre le partenaire avec qui on travaille ; et nous on est là pour qu’ils vident leur sac, faire remonter les informations sur les dysfonctionnements.
L’idée à moyen et long terme c’est aussi d’avoir un changement de regard et de pratiques des partenaires. Parce qu’aujourd’hui, la manière donc les partenaires travaillent avec les habitants est assez dysfonctionnelle. L’idée c’est d’avoir des habitants qui se disent qu’ils peuvent être acteurs de changement dans les quartiers, et dans leur ville en général. Mais aussi d’avoir un changement de pratique des partenaires, que ça ne soit pas toujours top down, descendant.
M : Quand on vous écoute, VoisinMalin donne plus l’impression de travailler à l’autonomie des habitants qu’à leur « pouvoir d’agir ».
J’ai envie de croire que pas seulement, les habitants qui sont informés de leurs droits, ou mobilisés dans des réunions, l’idée c’est qu’eux soient acteurs. On fait attention à ne pas faire à la place des gens. Or lorsqu’on maîtrise ses consommations d’eau par exemple, ça parait peu mais ça dégage du budget pour autre chose, ça permet aux personnes de reprendre pouvoir sur leur logement. On ne donne pas seulement de l’information, les « voisins » permettent aux habitants de comprendre les enjeux. Or sans compréhension des enjeux et sans autonomie, il n’y pas de pouvoir d’agir.
[1] Kirszbaum, T. (2014), « Valoriser les ressources des quartiers », Rapport pour le réseau Amadeus, http://i.ville.gouv.fr/index.php/reference/9876
[2] www.voisin-malin.fr