Démocratie et pluralisme dans le processus de changement vénézuélien
Jim Cohen : Quelle est votre analyse de l’affaire de la fermeture par le président Hugo Chávez de la chaîne de télévision privée RCTV (Radio Caracas Televisión), présentée dans toute la presse occidentale comme une intolérable atteinte à la liberté d’expression.
Edgardo Lander : Je dirais tout d’abord que, selon les normes constitutionnelles et légales en vigueur au Venezuela – pas seulement celles du gouvernement en place – les ondes hertziennes appartiennent à l’État qui les organise comme une concession à l’usage d’entreprises privées, de l’État ou d’autres groupements tels que radios ou télévisions communautaires. Dans le cas présent, la concession de RCTV, renouvelée pour la dernière fois il y a vingt ans, arrivait à terme et l’État devait décider s’il fallait la renouveler pour vingt ans de plus ou non.
Pour placer cette situation dans un contexte sociopolitique plus général, il est important de comprendre que le rôle joué par la majeure partie des moyens de communication privés ces dernières années. Avec la crise de l’ordre des partis politiques du régime antérieur (Acción Democrática, COPEI, etc.), les moyens de communication se sont convertis en principaux instruments d’opposition au gouvernement. Le problème n’est pas qu’ils soient des instruments de l’opposition, mais il faut voir quel type d’opposition, quel type d’actions cette opposition mène. Ces dernières années, l’entreprise RCTV s’était engagée dans des activités qu’on peut appeler golpistas, c’est-à-dire de collaboration directe à la préparation d’un coup d’État. On a affaire à une chaîne de télévision qui s’est ouverte en toute impunité aux membres des forces armées qui ont lancé des appels à d’autres militaires pour qu’ils se soulèvent contre Chávez.
Pendant la tentative de coup d’État du 11 avril 2002, les médias ont produit des images de personnes, présentées comme des hommes armés de Chávez, qui auraient été vues en train de tirer sur des manifestants pacifiques. On a montré des images de morts en les présentant comme la preuve que le gouvernement Chávez tirait contre ces manifestants pacifiques. Mais il a été prouvé ensuite que ces images étaient le résultat d’un montage total et que les personnes armées tiraient sur un détachement hautement armé de la police métropolitaine qui participait au coup d’État et se dirigeait vers le palais présidentiel. La manifestation de l’opposition se déroulait à quelques centaines de mètres de là et n’avait rien à voir avec ces faits. Les morts ont été tués par des francs-tireurs qui participaient au coup d’État, c’était un stratagème pour justifier le coup. Au Venezuela et à l’échelle internationale on a utilisé ces images comme une justification du coup d’Etat contre un gouvernement criminel qui tuait son propre peuple alors qu’en réalité, c’était un montage. Les images n’avaient pas été filmées par RCTV, mais c’est RCTV qui a fabriqué le montage et l’a diffusé à plusieurs autres chaînes, au Venezuela et internationalement. Le reportage a même gagné le prix du Prince des Asturies, mais tout était faux.
La force des médias dans le monde contemporain est telle qu’ils sont capables de créer des faits, de fabriquer la réalité. Dans ce cas la réalité a été créée avec d’évidentes intentions politiques, et pour beaucoup de gens dans le monde c’était « la » vérité, même s’il a été possible, plus tard, de prouver que c’était une fabrication.
On se demande quel pays d’Europe permettrait à une grande chaîne de télévision de participer directement à un coup d’État contre l’ordre constitutionnel, en fabriquant des images d’assassinats de masse par l’État. Évidemment, ce ne serait pas tolérable.
L’État vénézuélien aurait pu en toute légitimité fermer cette chaîne au moment du coup d’Etat, mais il a opté pour une forme plus simple d’un point de vue légal, qui consistait à ne pas renouveler sa licence au moment de son expiration, presque cinq ans plus tard.
Mais on dit que beaucoup de Vénézuéliens, y compris beaucoup d’électeurs de Chávez, ont été déçus par la fermeture de cette chaîne, qui était source pour eux de divertissement, avec ses telenovelas et ses matchs sportifs, etc. De ce point de vue, Chávez n’a-t-il pas commis une erreur politique ?
Différentes sortes de problèmes se posent. D’abord, la question du contrôle oligopolistique des moyens de communication alors que les ondes sont censées appartenir à tous. Ensuite, la question de savoir si ces médias peuvent violer la loi impunément.
On peut ensuite se poser la question de la manière dont la fermeture s’est effectuée et des explications ont été données par le gouvernement. Autre question encore : quelles étaient les options disponibles, sachant que les médias font partie de la société contemporaine et que nous sommes en démocratie, qu’il faut tenir compte de la construction pluraliste de la sphère publique ?
Il y a aussi la question du divertissement qu’on ne peut pas oublier. Certains prétendent que les médias doivent être en permanence un instrument pédagogique et politisé, mais ce n’est pas possible, cela va à contre-courant d’une culture populaire bien installée, contre les attentes des gens. Il y a une culture de télévision qui s’est constituée ces cinquante dernières années. Au Venezuela comme ailleurs, quand les gens allument la télévision, c’est en général pour se divertir, regarder des telenovelas et les matchs de sport, des choses qu’on peut estimer frivoles, mais la télévision c’est cela ! Faire de la télévision un instrument pédagogique, une chose toujours sérieuse, c’est enlever aux gens une de leurs sources de divertissement.
Cette chaîne captait, selon certaines sources, 40 % du public des téléspectateurs, un pourcentage très élevé. Ce n’était pas seulement pour des raisons politiques, puisqu’une grande partie de cette audience venait des couches populaires qui soutiennent massivement le gouvernement de Chávez.
On a annoncé que la place de RCTV sur les ondes allait être prise par une nouvelle chaîne de service public. Or, la création d’une chaîne publique plurielle, qui intéresse et divertit réellement les gens, n’est pas chose facile. Cela ne dépend pas uniquement de la volonté politique, mais aussi de la capacité de création et de production, et cela dépend également du talent dont on dispose. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a eu, au départ, beaucoup d’improvisation. La chaîne commence en suscitant des attentes très élevées. Elle commence avec une programmation de 24 heures sur 24, ce qui paraît absurde, car on aurait pu attendre d’une nouvelle chaîne plus de modestie, qu’elle commence par exemple avec une programmation de prime-time et qu’elle ajoute d’autres programmes par la suite.
Créer une chaîne publique qui ne soit pas une chaîne gouvernementale exigerait un cadre institutionnel qui rende possible une certaine autonomie par rapport aux instances gouvernementales. Il faudrait aussi de l’autonomie financière. Mais l’appui financier de cette nouvelle chaîne vient essentiellement de l’État et elle diffuse une propagande qui donne à cette chaîne une coloration très gouvernementale, avec une propagande qui ressemble à celle des autres médias de l’État, en faveur des initiatives du gouvernement. Il est difficile dès lors de voir comment on fera de cette chaîne quelque chose de différent.
C’est très compliqué. La chaîne principale de l’État, le Canal 8, la traditionnelle chaîne publique au Venezuela, fait quelques efforts pour organiser des vrais débats, inviter des gens de l’opposition, mais il y a aussi un autre contenu qui apparaît comme l’image-miroir du ton agressif des chaînes privées. Certaines émissions font véritablement de l’agitation politique, de façon sectaire. Cela ne contribue pas à l’ouverture d’un espace de débat plus large, plus tolérant, plus démocratique, puisqu’on reste dans le même registre sectaire de certaines chaînes privées. Il y a là un grave problème, qui montre les difficultés d’apprentissage du débat démocratique, puisqu’il n’est pas vraiment possible qu’une chaîne de l’État s’exprime dans le même ton que la droite la plus agressive.
Chávez lui-même et son gouvernement ont-ils la volonté de créer un espace public plus démocratique ?
C’est une question qui n’a pas été posée au Venezuela avec suffisamment de sérieux et de clarté. Elle ne passe pas seulement par les médias, même si c’est largement une question des médias. Le processus de changement au Venezuela se présente toujours comme un processus non violent et démocratique. Dans l’actuel débat sur la réforme constitutionnelle, Chávez soutient qu’il n’est pas nécessaire de changer de constitution puisque la constitution en vigueur rend possible des changements importants sans que les principes de base soient remis en cause. Il dit que le socialisme démocratique qu’il s’agit de construire est compatible avec les nouveaux articles de la constitution. Dans un de ses articles, il est clairement établi que l’ordre politique est un ordre démocratique et pluraliste.
Voilà donc le projet, l’imaginaire et le défi : celui d’un processus de changement – ce qu’on appelle le « socialisme du XXIe siècle » – qui ne se réduise pas à un projet social-démocrate et réformiste mais qui continue à s’approfondir, et qui ne reproduise pas non plus le modèle soviétique, avec un État centraliste qui limite la démocratie au lieu de l’approfondir.
Mais ce qui vient compliquer le problème, c’est que tout processus de changement dans le monde contemporain est en permanence sous suspicion et menacé d’attaque. Les États-Unis ont appuyé une tentative de coup d’État et ont aidé l’opposition de différentes manières. Quand on est sur la défensive, on est toujours tenté d’imposer plus de contrôles.
À ce propos, il y a un débat théorique naissant qui me paraît important, à propos de l’hégémonie. Il s’agit de contrer l’hégémonie individualiste, libérale, capitaliste, consumériste, très pro nord-américaine, de mener une lutte contre-hégémonique qui ne prétend pas la remplacer à proprement parler l’hégémonie en place par une autre, mais qui se trouve engagée dans une lutte permanente. Comme dirait le sociologue brésilien Boaventura de Sousa Santos, il s’agit de lutter pour une « démocratie sans fin ». Il ne s’agit pas d’établir un « autre » ordre, une « autre » hégémonie, mais de réaliser un processus continu de démocratisation. Ce qui suppose, évidemment, le pluralisme, un processus toujours ouvert. On est loin de ce que fut le socialisme du XXe siècle.
Il y a un autre terrain à explorer : celui de la manière dont la quête de transformation s’est convertie en social-démocratie, et de là, en « troisième voie », en « New Labour », ou en socialisme à la française, où la transformation sociale est oubliée et ne figure plus à l’ordre du jour. Mais, en Amérique Latine, il s’agit de transformer des sociétés profondément excluantes et injustes, où s’est perpétué un certain caractère colonial des rapports sociaux, où l’exclusion sur la base de la couleur de la peau et les critères culturels a produit une sorte d’apartheid social. Il s’agit de transformer ces sociétés en profondeur, ce qui engendre inévitablement des résistances. Il est évident que les catégories privilégiées ne vont pas laisser disparaître leurs privilèges sans résistance aucune. C’est clair dans le cas bolivien, par exemple. La droite bolivienne, qui tout au long du XXe siècle n’a jamais eu de problèmes pour appuyer des gouvernements autoritaires et militaires, s’affiche aujourd’hui comme libérale et démocrate et appuie le « droit des minorités ». Mais très rapidement ce droit des minorités se transforme en droit de la minorité à opposer son veto à toute possibilité de changement, d’imposer sa volonté et ses privilèges à la majorité. Il vise à protéger les privilèges des secteurs blancs et métis contre l’émergence de la population indigène et majoritaire. C’est un processus pervers qui appelle une rupture. Aujourd’hui nous sommes confrontés au choix entre des tentatives de rupture (comme au Venezuela et en Bolivie) et la cooptation totale (Brésil, Argentine, Uruguay).
Racisme et inégalités de classe : quels changements au Venezuela ?
Comment la perspective théorique de la « colonialité du pouvoir » telle que l’ont théorisée Anibal Quijano, Santiago Castro-Gómez, vous-même et d’autres, vous aide-t-elle à comprendre la situation au Venezuela aujourd’hui ? Est-il vrai que l’élite blanche est autant dérangée par la couleur de Chávez que par ses orientations politiques ?
Au Venezuela, comme dans toute l’Amérique latine, l’indépendance politique n’a pas représenté une rupture fondamentale avec l’ordre colonial qui s’était constitué durant trois cents ans de domination espagnole ou portugaise. L’indépendance a rétabli le contrôle de propriétaires de terres et commerçants créoles, qui étaient plus intolérants et élitistes, dans leurs rapports avec le reste de la population, que ce qui était prévu dans les Lois des Indes ! Dans toute l’Amérique latine pratiquement, on a vu des processus d’extermination des peuples indigènes, et c’était bien pire au XIXe siècle – siècle des indépendances – que dans les deux siècles précédents, cela ne pouvait se comparer qu’au terrible XVIe siècle. Donc cet imaginaire selon lequel l’indépendance politique aurait été un moment de rupture avec l’ordre colonial ne correspond à aucune réalité, c’était la mythologie libérale de la création des Etats-nations. En réalité il n’y a jamais eu d’États véritablement nationaux, démocratiques, proposant une citoyenneté universelle. Le seul endroit où il y a eu une révolution sociale en même temps que la lutte pour l’indépendance, c’était Haïti, et cette expérience a été écrasée, on n’a jamais pardonné au peuple haïtien leur péché !
Pour comprendre le processus actuel au Venezuela, il est important de voir la superposition de deux régimes d’exclusion : premièrement, le maintien des rapports sociaux coloniaux en termes de classification raciale qui détermine qui est réellement citoyen et ce qui ne l’est pas. Il a fallu attendre 1947 pour qu’arrive au Venezuela le suffrage universel. Comme partout ailleurs en Amérique latine, il y avait un système politique contrôlé par des gens plus urbanisés et lettrés, et le reste de la population avait une participation et une appartenance politique beaucoup plus limitées. Les vingt premières années de l’expérience de la démocratie connue sous le nom du « puntofijismo » au Venezuela, à partir de 1958 après une longue histoire où il n’y a eu que des dictatures, ont représenté un processus de relative incorporation. Les attentes des secteurs populaires en matière de participation citoyenne ont été relevées, il y a eu une forme de « modernisation » qui a été une réussite relativement pendant quelques années, grâce notamment à la rente pétrolière en expansion, mais cela n’a pas duré longtemps : dès la fin des années soixante-dix, l’État n’était plus en mesure de répondre aux demandes populaires, une baisse des revenus pétroliers par tête d’habitant – chiffre clé pour qui veut comprendre les rapports entre la situation fiscale et la situation sociale au Venezuela). Le déclin de cet indice sur une longue période a produit une délégitimation des partis politiques et c’est ainsi qu’a démarré l’offensive néolibérale, non seulement dans le champ économique mais aussi dans le domaine politique, avec la délégitimation de la chose publique en général, des partis politiques, du politique. La rupture du consensus « social-démocrate » a conduit les secteurs moyens, une partie des intellectuels, et évidemment les entrepreneurs et les médias aussi, vers des positions néolibérales et « antipolitiques » très marquées, avec une tendance à dénoncer toute intervention de l’État, puisque l’État était, par définition, corrompu, inefficient, clientéliste, etc.
Il se produit à partir des années 1980 un processus de fragmentation croissante de la société vénézuélienne. À l’exclusion coloniale – qui n’avait jamais été dépassée par la construction d’une citoyenneté démocratique et véritablement nationale, représentative, dans l’imaginaire du moins, de l’intérêt commun – se sont superposées les politiques néolibérales : retrait de l’État, incapacité de l’État à répondre aux besoins sociaux en matière d’éducation et de santé. Les pauvres ont même disparu du discours politique, alors que dans la période antérieure, les partis politiques – Acción Democrática (AD) en particulier – avaient une base sociale assez large. On disait à l’époque que dans toutes les villes du pays il avait un distributeur de « Polar », la marque de bière la plus populaire, et une section du parti AD ! C’étaient les deux institutions qu’on trouvait partout. Mais c’est terminé, les partis politiques sont tous devenus des partis strictement électoraux, des partis d’affaires. On a assisté à un processus que je crois assez caractéristique de toute l’Amérique latine, et qui est particulièrement fort au Brésil : la mise en place d’un apartheid social très fort, surtout aux dépens des secteurs populaires urbains.
Il s’est produit ainsi une rupture culturelle, une rupture dans l’imaginaire, par rapport aux attentes de la période antérieure, quand prédominait une idée comparable à l’éthique protestante, selon laquelle il fallait déférer les satisfactions, faire des efforts à long terme, envoyer les enfants à l’école pour qu’ils soient sûrs d’avoir un emploi à l’issue de leurs études – cette idée selon laquelle par l’effort on pouvait s’incorporer dans la société, s’est brisée très vite et de façon très traumatisante dans les secteurs populaires. D’autres matrices culturelles se sont formées, qui mettent l’accent sur la survivance, la résistance, l’adaptation. Les frontières entre le légal et l’illégal se brouillent ainsi que les frontières entre le travail formel et informel. La notion du temps se transforme aussi : à la vision de type éthique protestante, qui incite à attendre des améliorations futures, se substitue une conception plus « postmoderne » du temps comme « présent permanent », puisque l’effort ne vaut plus la peine. Pour les jeunes, surtout les jeunes hommes, il y a cette idée qu’on n’est jamais sûr de vivre au-delà d’un certain âge, donc la vie se transforme en « présent permanent », il n’y a aucune attente d’autres possibilités, on ne voit aucun sens à épargner pour acheter une maison. Beaucoup s’étonnent de voir comment les jeunes qui n’ont pas beaucoup d’argent sont capables de dépenser des sommes folles pour acheter des chaussures de sport ou un téléviseur à écran géant. Mais l’idée d’épargner pour différer les satisfactions est très éloignée de leur expérience.
Cette rupture culturelle, qui signifie qu’on ne croit plus à l’offre de la modernité ni à l’offre des institutions, finit par créer des valeurs culturelles de distanciation. Avant, il y avait une situation de relatif consensus social-démocrate, où, pour le moins dans le discours, l’État devait assumer un rôle social, puisque les revenus de l’État ne dépendaient pas de l’imposition des riches mais des revenus du pétrole. L’idée d’un État social ne provoquait pas beaucoup de résistance. Les secteurs les plus puissants comprenaient qu’ils pouvaient récupérer la part la plus belle du gâteau comme condition d’une certaine stabilité. Mais ensuite, on est arrivé dans une situation de crise, de jeu à somme nulle, où, pour répondre aux besoins des secteurs populaires, l’État devait commencer à imposer les riches, chose inacceptable pour eux.
L’expression politique la plus claire de cette crise a été le « caracazo » en 1989, qui correspondait à l’annonce de la mise en œuvre des recettes du « consensus de Washington », et la signature d’un accord entre le second gouvernement de Carlos Andrés Pérez et le Fonds monétaire international. C’est alors qu’on a assisté à une explosion populaire qui a démontré à quel point la légitimité du système politique était brisée. On s’est installé dans une crise longue qui s’est traduite ensuite par la tentative de coup d’État militaire en 1992. Rafael Caldera en a profité pour gagner des élections sur un discours anti-néolibéral mais a fini par appliquer les recettes néolibérales.
En somme, on assistait à une superposition historique de deux processus d’exclusion : d’une part celui qui s’inscrivait dans la continuité de l’ordre colonial et, d’autre part, cette nouvelle forme d’exclusion propre à la société d’apartheid que produit le néolibéralisme, par la concentration de la richesse, qui provoque une rupture culturelle entre les couches moyennes et élevées cosmopolites, qui consomment beaucoup, ayant étudié à l’étranger, et le reste de la population qui est tout simplement exclu de tout cela.
Quel bilan peut-on faire des gouvernements de Chávez durant ces huit dernières années ? Y a-t-il un déclin notable des taux de pauvreté ? Les couches populaires ont-elles bénéficié de changements palpables dans leur mode de vie ?
Les changements les plus importants au Venezuela ces dernières années se sont produits précisément dans les secteurs populaires. On est passé d’une situation de désespoir, du sentiment d’être exclu du système politique, d’une absence d’attentes, à une situation où a pu se créer, un sentiment d’appartenance, de dignité humaine retrouvée, de capacité à peser sur les affaires collectives, localement ou à plus grande échelle. Ceci a produit un changement culturel d’une très grande importance. Évidemment, c’est un changement qui doit continuer, qu’il faut essayer de consolider pour qu’on puisse dire qu’il y a réellement transformation, mais je crois quand même qu’on est en train d’assister à un changement dans la culture politique populaire, c’est l’acquis le plus important de ces dernières années.
À partir de 2003, une fois que le gouvernement a pu se rétablir après les terribles affrontements des années 2002-2003 (coup d’État militaire de 2002, sabotage pétrolier, la grève patronale, etc.), a commencé une politique sociale ambitieuse. Le gouvernement tout seul n’aurait pas pu y arriver. La défaite du coup d’État a été rendue possible par la mobilisation populaire et la défaite de la grève des entrepreneurs du secteur pétrolier n’aurait pas eu lieu sans la patience infinie des gens et leur détermination à résister de façon organisée. Il est sorti de ces événements une sorte de nouveau pacte social entre le gouvernement et le peuple, puisque chacun comprenait que le gouvernement n’aurait pas pu survivre à ces événements sans l’appui populaire. Ceci a créé un nouvel engagement en faveur du social, beaucoup plus fort et exigeant, qui devient visible à partir du milieu de l’année 2003.
La politique sociale mise en place a eu comme point de départ l’expérience du programme de santé Barrio Adentro (« Au cœur du quartier »), grâce d’abord à la reconnaissance du fait que les seuls appareils administratifs de l’État ne suffisaient pas à faire une réforme, étant donné le manque de légitimité de toute initiative de l’État, et l’image des activités de l’État comme des activités de deuxième catégorie, avec des agents de l’État percevant de bas salaires, ayant de bas niveaux de formation, et résistant fortement à tout changement à l’intérieur de leur administration. D’un autre côté il y avait l’urgence, la nécessité absolue de mettre en œuvre des politiques publiques susceptibles d’améliorer de façon tangible les conditions matérielles de la vie des gens, en termes d’emploi, de santé, d’éducation – conditions qui n’avaient pas encore changé de façon significative.
L’expérience de Barrio Adentro, rendue possible grâce à l’arrivée de quinze mille à dix-huit mille médecins cubains qui se sont installés dans les quartiers populaires, a changé en très peu de temps les rapports entre les gens et le système de santé. C’était la rupture avec un système de santé centralisé, tutélaire, « curatif », répondant à l’urgence, auquel se substituait un modèle plus proche des communautés, avec des médecins disponibles 24 heures sur 24, la gratuité des médicaments de base et la formation de comité de santé par quartier.
Les changements apportés par cette expérience ont fourni le modèle des politiques sociales connues sous le nom des « missions » : mission d’alphabétisation, mission dans les domaines de l’éducation primaire, secondaire et supérieure, puis dans l’emploi, la science et la technologie, les droits des peuples indigènes, la pauvreté féminine, etc.
Une autre mission sociale très importante porte sur la distribution des produits alimentaires. Pendant la grève des entrepreneurs, l’économie a révélé ses vulnérabilités puisqu’un pourcentage élevé des produits alimentaires vient de l’importation, dans des canaux commerciaux très concentrés. Il était très facile de couper le pays de sources d’alimentation. C’est alors que la « Mission Alimentation » s’est mise en place, à travers la structure baptisée « Mercal », mécanisme national de distribution des produits alimentaires. Il s’agit de coopératifs et de réseaux publics d’appui à la production et la distribution. Une partie importante des activités de Mercal concerne l’importation des produits, par des réseaux coordonnés par l’État. Cela empêche le pays d’être coupé de ses sources d’aliments et de distribuer certains produits à des prix inférieurs à ceux des circuits commerciaux privés. Environ 40 % des produits alimentaires au Venezuela aujourd’hui transitent par cette voie.
L’accès à des aliments moins chers, à des services médicaux, à de meilleurs niveaux d’éducation, et le fait que beaucoup de ces programmes offrent des bourses de reconversion dans plusieurs domaines : tout cela a eu pour conséquence une évidente amélioration des conditions de vie des secteurs populaires. Mais un problème se pose quand on se propose d’évaluer ou de mesurer cette amélioration : on ne peut pas le faire strictement en termes de revenu, puisque nombre de ces améliorations ne sont pas mesurables en termes monétaires : il s’agit par exemple de l’accès à des services pour lesquels il n’y a pas de contrepartie monétaire. Il est plus compliqué d’incorporer dans le calcul la mesure ces changements qualitatifs des conditions de vie. Quand le gouvernement tente d’introduire d’autres critères de mesure, il y a tout de suite des réactions à l’échelle internationale, sur le thème : « le gouvernement vénézuélien manipule les chiffres, fabrique ses propres critères », etc. Cependant, il faut remettre en cause l’idée selon laquelle le revenu monétaire par tête d’habitant ou par famille est la mesure par excellence de la qualité de la vie, c’est un critère totalement unilatéral et biaisé, qui implique toute une conception de l’économie qu’il faut justement questionner dans ses fondements conceptuels et dans ses conséquences pratiques et politiques. Il est donc relativement facile de constater qu’il y a eu une amélioration des conditions de vie des secteurs les plus pauvres de la population, mais il est plus difficile de démontrer que ceci se traduit par une redistribution mesurable des revenus et de la richesse. Mais, du point de vue des indices de développement humain, les améliorations sont significatives.
La question de la discrimination ethnique/raciale a-t-elle été explicitement posée par le gouvernement ? Y a-t-il des mécanismes en place pour la combattre (comme au Brésil, par exemple, où un système d’action positive pour l’entrée aux universités publiques est en train d’être adoptée) ?
En termes strictement empiriques, on peut voir comment se sont constituées des hiérarchies sociales sur une base de couleur, il est évident qu’il y a des mécanismes à l’œuvre qui associent la couleur de peau avec la classe sociale. Cependant, le Venezuela comme le Brésil ont été fortement marqués, surtout ces dernières décennies, par la mythologie de la démocratie raciale, d’un pays qui serait non raciste. Le racisme était perçu comme politiquement incorrect. Il se manifestait principalement dans la vie privée, dans les blagues racontées entre amis par exemple, mais publiquement on ne pouvait pas être raciste.
Mais ces dernières années les choses ont changé de façon notoire, puisque dans les secteurs dominants de la société, règne le sentiment que la fête où les gens sont bien habillés et parfumés a été envahie par des gens vulgaires (la chusma), qui sentent mauvais, mangent avec les mains, etc. Ce sentiment a engendré une réaction ouvertement raciste, notamment de la part de la droite vénézuélienne. Un imaginaire très étrange, « médiéval » pourrait-on dire, s’est répandu : l’image par exemple selon laquelle il faut se défendre des masses en jetant de l’huile bouillante par les balcons des maisons.
Les premières initiatives du gouvernement contre l’héritage du racisme ont porté sur la condition des peuples indigènes. Les droits des indigènes – droits linguistiques, droits territoriaux par exemple – sont désormais solidement inscrits dans la constitution. On s’est beaucoup inspiré des programmes issus des luttes menées ailleurs en Amérique latine sur ces questions. Les groupements indigènes étaient plutôt faibles et peu nombreux, mais leurs revendications ont été prises en charge. Il y a maintenant un Ministère des affaires indigènes.
Dans le cas des affaires afro vénézuéliennes, les initiatives sont beaucoup plus à l’état d’ébauche. Les associations « afro », notamment de la région Barlovento, sont en train de promouvoir des thèmes culturels, elles organisent par exemple des festivals de tambour, etc. Mais ces groupes n’ont pas encore une très forte présence politique. Par ailleurs, il n’y a pas de projet à la brésilienne en matière d’« action positive ».
L’avenir du régime : des incertitudes
De nombreux médias occidentaux dénoncent les intentions affichées de Chávez de rester au pouvoir pendant toute sa vie s’il le peut. Quelles sont ses intentions ? Y a-t-il des structures en place qui pourraient assurer une continuité du processus de changement au-delà de Chávez ?
Cette question touche à l’un des aspects les plus compliqués et les plus polémiques de l’expérience vénézuélienne. En premier lieu, il faut reconnaître que l’histoire souvent ne se passe pas comme on le voudrait mais selon les possibilités que la conjoncture historique propose. Dans la situation d’extraordinaire mal-être, d’apartheid social, dans une société où le tissu social est tant désarticulé et où les possibilités de changement étaient si limitées, il est certain que la présence d’une figure charismatique capable de donner direction, expression et sens au profond mécontentement, est ce qui a rendu possible tout ce qui se passe au Venezuela aujourd’hui. Sans une figure comme Chávez, cela n’aurait pas été possible.
Si l’on compare la situation au Venezuela aujourd’hui avec celle de l’Uruguay ou du Brésil, on pourrait dire, conformément aux conceptions « politiquement correctes » des attentes par rapport à ce que devrait être un processus de transformation, que tant en Uruguay qu’au Brésil toutes les conditions sont présentes : il y a au pouvoir des partis de gauche qui ont accumulé des forces avec le temps, qui sont enracinés dans les mouvements syndicaux et sociaux, dotés d’équipes d’intellectuels solides, dotés aussi d’une expérience du gouvernement (voir les expériences de Montevideo ou de Porto Alegre), parfois des expériences coopératives, possédant une certaine efficacité dans la gestion des affaires publiques de l’honnêteté…
Si tous ces facteurs sont présents au Brésil et en Uruguay, au Venezuela on n’en voit aucun. Il n’y avait pas d’organisations sociales fortes, pas de partis politiques de gauche, pas d’intellectuels insérés dans les mouvements, pas de stratégie à long terme. Mais souvent la théorie, au lieu de nous aider à comprendre les processus, nous pousse à les comprendre mal, puisque la réalité ne ressemble pas à la théorie et on tend à penser que le problème est du côté de la réalité, alors que le problème se trouve dans les constructions théoriques trop abstraites.
Il est indéniable qu’à certains moments de l’histoire, les leaders peuvent jouer un rôle extraordinairement important. Mais cela ne devrait évidemment pas nous faire oublier qu’il faut construire un processus qui dure, qui atteint une certaine stabilité, qui ne dépend pas d’une seule personne, qui génère de la continuité, et cela, au Venezuela aujourd’hui, pose problème et suscite des polémiques. En reconnaissant que les changements auxquels on assiste seraient à peine imaginables sans une figure ayant la force politique et le charisme d’un Chávez, capable de donner direction et sens aux secteurs populaires, il faut dire aussi que la très haute dépendance par rapport à Chávez est une faiblesse.
C’est le cas pour plusieurs raisons. Il y a d’abord une raison tout à fait pratique et immédiate : le fait que les États-Unis aient tenté de renverser Chávez par un coup militaire, comme ils ont tenté de le faire avec la grève des patrons du pétrole, avec la présence de paramilitaires colombiens, etc. Ces différentes tentatives ont échoué, il est vrai. Mais étant données ces tentatives, qui ont eu lieu à Cuba aussi, puisque l’assassinat représente pour les États-Unis la stratégie la plus économique, la dépendance par rapport à une personne est une faiblesse. Si Chávez disparaissait ainsi, évidemment cela donnerait lieu à une situation de violence et de conflit social, mais il y aurait beaucoup de difficulté à assurer une nouvelle direction capable de commander une telle légitimité.
Au moment des prochaines élections présidentielles, en 2013, Chávez aura passé quatorze ans au pouvoir. Mon opinion personnelle – et ce sujet est évidemment hautement polémique au Venezuela, si bien que cette opinion est souvent perçue comme une critique de droite de tout le processus de changement, mais ce n’est évidemment pas le cas – mon opinion est que, après quatorze ans de pouvoir continu, le fait de ne pas avoir développé une direction alternative capable de continuer le processus serait un signe de faiblesse du processus. De ce point de vue je suis en désaccord avec la proposition qui consiste à modifier la constitution de façon à permettre la réélection d’un candidat à la présidence pour un nombre illimité de mandats. Bien sûr, il ne s’agirait pas, selon les termes de cette proposition, de nommer un président à vie, car il aurait besoin de passer par des processus électoraux, mais le fait qu’il soit déjà évident qu’en 2013 Chávez sera candidat, écarte toute possibilité de construire une autre direction.
Ce type de direction, ce type de rapport entre la direction et les gens qui l’accompagnent, n’est pas la chose la plus saine, parce qu’un leader si fort finit souvent par être entouré de gens dont le rapport au pouvoir dépend de leur relation avec lui, c’est un genre de relation qui ne permet pas de mener des débats clairs et transparents, de confronter les options, etc. Il est très fréquent que les gens qui l’accompagnent soient d’accord avec ce qu’il dit. Le thème de l’espace de délibération suscite beaucoup de débat.
Où en est la proposition de Chávez de réunir tous les partis qui souhaitent participer au gouvernement en un seul parti de gauche unifié ?
Pour répondre à cette question, laissez-moi d’abord dessiner brièvement la « carte » des forces politiques de la coalition. Il y a d’abord un grand parti, le Movimiento de la Quinta Republica (MVR), qui est le parti majoritaire du côté de Chávez, mais il n’a jamais été un parti organique, il fonctionne largement comme un parti de mobilisation électorale, très supérieur en force électorale aux autres partis. Trois autres partis plus petits sont associés au pouvoir et présents au parlement : le Parti communiste, le parti Patria para todos (PPT), et le parti « Podemos » (« nous pouvons »), constitué par le secteur du MAS (Movimiento al socialismo) resté au gouvernement. Il y a également quelques petits groupes politiques – trotskistes, la Ligue socialiste, etc. – qui n’ont pas de participation parlementaire.
Chávez a déclaré qu’il ne peut pas continuer à gouverner avec tant de pluralité et tant de fractionnement organisationnel et qu’il faut créer un parti unifié, composé de tous les partis impliqués dans le processus de changement : ce serait le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). En annonçant cela le 15 décembre 2006, il a dit que les partis qui souhaitaient rester indépendants avaient tout à fait ce droit, mais qu’ils ne feraient plus partie du gouvernement. L’affirmation avait d’autant plus d’impact que le processus de changement au Venezuela est un processus qui a lieu depuis le gouvernement, depuis l’État, et si on est exclu de cet aspect de l’expérience, on est vraiment « dehors ».
Les partis concernés ont eu des réactions diverses. Le Movimiento Quinta Republica (MVR) a tout de suite accepté la proposition et a proposé de diriger la commission électorale. Il a même annoncé sa prochaine auto dissolution en tant que parti.
D’autres formations telles que la Ligue socialiste, après discussion interne ont annoncé leur intention d’entrer dans le nouveau parti.
Pour les trois autres partis de gouvernement, c’était plus compliqué. Quant au Parti communiste, avec ses soixante-dix années d’existence, il était extraordinairement difficile d’envisager l’autodissolution, étant donné la force du sentiment d’appartenance à ce parti. Le PC et les deux autres partis de la coalition de gouvernement ont convoqué leurs instances nationales et il y a eu beaucoup de débat interne et de la division : certains ont voulu participer à la création du nouveau parti, d’autres ont préféré garder les structures de parti existantes. Dans les trois cas, des majorités ont préféré conserver les structures en place, même si certains dirigeants historiques du PPT, notamment Alí Rodriguez et Aristóbulo Istúriz, ont décidé de rejoindre le nouveau parti, contre l’avis de leurs propres troupes.
À ce stade, on ne sait pas ce qui va se passer avec ces partis dans leur relation au gouvernement. L’affrontement le plus important jusqu’à maintenant a eu lieu entre Chávez et le parti « Podemos », dont les deux gouverneurs élus ont fortement critiqué la manière dont Chávez traite la question des partis. Il semble difficile, dans ces conditions, que cette formation continue à faire partie de la coalition de gouvernement.
Quant au mécanisme de constitution de ce nouveau parti, Chávez a lancé un appel national très large pour recruter des militants, avec l’appui du Conseil national électoral, qui propose de mettre sa technologie au service d’un nouveau système de candidatures. Selon le règlement il faut d’abord manifester sa volonté d’être militant du nouveau parti, mais la simple inscription sur la liste de volontaires ne garantira pas l’appartenance.
Selon les informations communiquées par les responsables de cette première phase de la formation du parti, il y aurait eu plus de 5,6 millions personnes inscrites dans le processus. On devrait maintenant passer à une deuxième phase dont les règles n’ont pas encore été très clairement présentées au public. On ne sait pas encore selon quels critères, selon quelle méthodologie, seront sélectionnés les futurs militants du parti. Il n’est pas très clair non plus sur les mécanismes des assemblées de base, qui pourra et ne pourra pas être candidat aux élections, etc.
Il y a aussi des problèmes à propos de l’organisation de tout ce processus. Certains fonctionnaires et un gouverneur ont déclaré publiquement que seuls des fonctionnaires pourraient entrer au parti. D’autres ont démenti cette déclaration, mais un doute persiste.
En tout cas, il est clair que dans ce parti il y aura de tout, y compris des opportunistes.
Il faut ajouter que dans l’histoire de la construction des partis politiques ce parti va constituer une nouveauté, puisqu’il se forme et recrute ses militants avant de parler du contenu, car ce parti n’a pas encore de règlement, ni de programme politique.
Les autres partis sont donc sommés de quitter le gouvernement ? Dans quel délai ?
Rien de cela n’est très clair pour l’instant. Il est possible que les choses se passent différemment pour les différents partis. À ce stade il me paraît difficile d’envisager que « Podemos » continue d’être considéré comme associé au gouvernement bien que ses dirigeants insistent pour dire qu’il le reste. Les relations du gouvernement avec le PC et le PPT sont plus complexes, il est moins probable qu’on assiste à des ruptures. Mais tout cela n’est pas encore clair.
Publié le 7 septembre 2007 sur le site de Mouvements