Denis Sieffert, directeur de la rédaction de Politis, nous donne son avis sur le Nouveau Parti Anticapitaliste, à partir de l’appel initié par l’hebdomadaire.

Contribuer à l’éclosion d’une force politique neuve dans un paysage perclus d’habitudes et de traditions est une gageure. Il faut y mettre beaucoup d’énergie, imaginer, inventer, composer aussi entre des sensibilités qui ne tardent jamais, dès que le débat se tend, à devenir des susceptibilités. L’appel paru dans Politis sous le titre « L’alternative à gauche, organisons-la ! » (www.appel-a-gauche.org), et qui a recueilli à ce jour plus de huit mille signatures, présente cependant un avantage : il est parrainé par un journal dont le positionnement est, depuis vingt ans, à la croisée des chemins entre l’écologie et le social, c’est-à-dire là précisément où il s’agit d’opérer la synthèse qui fait encore défaut à une vraie gauche. Ajoutons, pour mettre tout le monde à l’aise, que ce journal et son équipe n’ont pas vocation à jouer un rôle au-delà de cette initiative fédératrice.

Mais pourquoi cet appel et pourquoi maintenant ? Depuis un an, la violence de la politique antisociale de Nicolas Sarkozy ne fait pas seulement que démanteler toute l’architecture d’une société, détruire les services publics, attaquer le système éducatif, déréglementer le travail, et appauvrir les pauvres pour enrichir les riches. Elle met aussi en évidence l’abandon de poste du parti socialiste, son renoncement idéologique, son adhésion profonde aux thèses néolibérales qu’il est supposé combattre. De ce fait, un vaste espace politique s’est ouvert, que ne peut remplir aucune organisation ni aucun parti par lui-même. Certes, chacun pourra instruire, selon ses convictions, le procès historique de ce qu’on appelle volontiers la social-démocratie, tenir l’inventaire de ses erreurs au cours du siècle dernier ou de ses reniements. Mais nul ne peut nier qu’il s’est passé au cours des dernières années quelque chose qui est d’un autre ordre. Les mots, les références qui, bon an mal, se rattachaient à une certaine tradition ont été peu à peu abandonnés, dans le sillage de la social-démocratie européenne, notamment britannique et italienne. Aujourd’hui, la course du PS vers le centre condamne nos concitoyens, comme le dit l’appel, « à un choix mortifère entre deux variantes de l‘adaptation au libéralisme ». Dans cet immense désert, l’ambition de la Ligue communiste révolutionnaire — aussi honorable soit-elle — de construire à partir d’elle-même un nouveau parti anticapitaliste ne peut suffire à répondre à une attente à la fois large et plurielle.

D’où notre initiative, prise à bonne distance de ces échéances électorales qui sont autant de pièges pour tout projet au long cours. Qu’est-ce que notre appel ? Il n’est pas un programme. Nous assumons pleinement son caractère ouvert — les mauvaises langues diront « flou » — qui permet à tous ceux qui appellent de leurs vœux une gauche de transformation sociale et écologiste de s’y retrouver, d’où qu’ils viennent, y compris bien sûr du parti socialiste pour ses militants qui font le même constat que nous. Notre appel est une invitation à construire « un cadre permanent qui nous permette de réfléchir aux moyens d’une vraie réponse politique aux attaques de la droite et du Medef ». Notre appel ne lance pas une « idée » ; c’est d’un « objet » dont il s’agit, concret et immédiat. Ou, pour le dire autrement, une structure. Son ambition est de construire « en pleine gauche ». Ni dans la marge, ni dans l’extrême. Et dire cela n’est pas mollir sur les principes. C’est tout simplement prendre acte que l’espace ouvert par le glissement du PS se situe au cœur de la gauche, et qu’il ne convient plus de se définir par rapport à ce parti.

Quelle est la méthode que nous proposons ? Elle repose sur un constat : les tentatives précédentes se sont brisées sur la contradiction qui existe entre le temps long nécessaire à l’élaboration d’un projet commun et le temps court qui rythme la vie politique. C’est cette contradiction qu’il faut surmonter. Nous proposons pour cela un « pacte » établi sur la durée entre les différents acteurs et protagonistes qui se reconnaissent dans cet espace. À tous, nous disons : « Prenez l’engagement de mener le travail de convergence idéologique sur toutes les grandes questions. Pendant une durée déterminée (un an, deux ans), rien ne doit pouvoir remettre en cause ce cadre politique permanent, comme sanctuarisé. Si les convergences et les synthèses se font assez vite pour aborder ensemble les prochaines échéances — on pense notamment aux européennes de 2009 — tant mieux. Sinon, ce n’est surtout pas la fin de l’histoire. Cette méthode n’exclut évidemment pas — au contraire — la participation aux luttes. Elle est à la fois associée au mouvement social, auquel elle ambitionne d’ouvrir des perspectives, et déconnectée de ses aléas.

Il y a deux façons de concevoir ce travail : comme un remake pusillanime des épisodes précédents ou comme une impérieuse nécessité politique. Si l’on opte pour la seconde hypothèse, il convient de donner au débat qui devrait s’organiser un véritable souffle. Ses objectifs sont tout sauf médiocres. Chacun est conscient qu’une gauche nouvelle ne peut plus se construire sans la convergence impérative de deux cultures et de deux traditions : l’une imprégnée de marxisme et héritière de l’histoire sociale, l’autre, écologiste initiatrice de nouveaux modes de production et de consommation. Bien sûr, la page n’est pas blanche. De chaque côté, des efforts ont déjà été accomplis pour prendre en considération la culture de l’autre. Une riche élaboration existe. Mais le chemin est encore long sur des thèmes qu’il n’est pas difficile d’identifier : la question des énergies, le problème de la croissance et de la décroissance, le rôle de l’État, l’organisation de l’Europe… Il faut, dit l’appel, « conjuguer l’urgence sociale et l’urgence écologique ». Car il ne peut plus être question aujourd’hui d’établir entre ces deux impératifs une hiérarchie ou un ordre de préséance.

Aider à la synthèse de ces cultures est donc à la fois une nécessité et une tâche exaltante. Notre appel ne demande à personne d’abjurer ses convictions, ni à des élus de faire le grand saut dans l’inconnu tant que des certitudes nouvelles n’auront pas émergé. Nous devons composer avec deux exigences nullement contradictoires : le respect des formes anciennes — partis politiques et organisations qui ont structuré notre histoire sociale et la structurent encore — et leur dépassement dans quelque chose de neuf. C’est une évidence que cela ne pourra se faire qu’avec le consentement d’une grande partie des forces existantes. Mais ce nécessaire dépassement, nous croyons aussi qu’aucune force politique ne peut l’accomplir seule, sans l’aiguillon de la confrontation.

Voilà donc les quelques propositions que nous soumettons au débat. Elles sont aujourd’hui au cœur de nombreuses réunions, partout en France. Elles pourraient prendre forme fin septembre ou début octobre dans le cadre d’une grande initiative nationale. En attendant, nous invitons ceux qui partagent notre espérance à renforcer l’appel de Politis par leur signature.