Dans les multiples débats sur la gestation pour autrui (GPA), les gestatrices n’ont pas souvent la parole. Cet entretien est le récit d’une femme qui, vers l’âge de 35 ans, décide de se lancer dans un parcours qui la mène à porter l’enfant d’un couple hétérosexuel ayant des problèmes de fertilité. En proposant cette conversation à Orit Chorowicz Bar-am avec qui elle a grandi à Tel Aviv et qui était la cheftaine de son groupe de scouts, Michal Raz, sociologue et autrice d’une thèse sur la production des connaissances sur l’intersexuation, entendait donner la parole au lieu de parler à la place. En restituant le sens qu’elle donne à ce processus, un acte que Sharon qualifie de féministe, cet entretien aide à prendre la mesure de la complexité des questions éthiques et politiques de la gestation pour autrui, à commencer par ce qui a le plus défrayé la chronique : ses dimensions marchandes. Cette conversation montre aussi comment, dans le contexte israelien, les gestatrices tentent de se constituer en collectif et luttent pour leurs droits en dépit des résistances qu’elles rencontrent.

Le terme utilisé couramment en hébreu pour parler de la gestation pour autrui est Pundéka’ut, un seul mot équivalent à toute l’expression GPA. La Pundéka’it désigne dans l’Antiquité, comme dans les périodes hellénistique et byzantine (Pandokion en grec), une personne qui tient une auberge de passage sur les routes, un lieu d’accueil et de rencontre. Ce terme devient ensuite un terme péjoratif pour désigner une femme pauvre aux mœurs non-conformes ou une prostituée. Dans le contexte de la GPA contemporaine, autorisée en Israël depuis 1996, l’usage du terme peut être rapporté aux débuts des années 1980.2 Mais alors qu’il est entré dans l’usage commun, il n’apparaît pas dans la loi israélienne intitulée « Loi sur les accords de portage de fœtus » qui régule cette pratique et qui parle de « mère porteuse ».

Cette loi, dont la dernière révision date de 2018, fixe les conditions de constitution de contrat entre parents d’intention et femme gestatrice3, contrat qui doit être validé par une commission spéciale. Les membres de la commission sont nommé·e·s par le ministère de la Santé et se compose de deux médecins spécialistes en obstétrique, un·e assistant·e social·e, un·e psychologue, un·e médecin spécialiste en médecine interne, un·e juriste, et un représentant religieux. Le processus, relativement long, comporte la vérification des documents, des entretiens individuels avant l’éventuel accord donné par la commission pour la signature du contrat.

Parmi les conditions importantes à rappeler, le contrat contient jusqu’à 6 tentatives d’insémination par fécondation in vitro (FIV), prioritairement avec le sperme du père d’intention et l’ovocyte de la mère d’intention ou, si impossible, d’un don d’ovocyte. L’âge de la mère (d’intention) est limité à 53 ans. En 2018, un amendement à la loi permet à une femme célibataire de faire recours à une gestatrice, à condition qu’on utilise ses ovocytes. La cour suprême a, en 2020, statué quant à la discrimination que constitue cette loi à l’égard des hommes, célibataires ou en couple avec un autre homme, et a sommé le parlement à légiférer là-dessus avant le 1er juillet 2021 (ce n’est toujours pas fait). Le processus n’est d’ailleurs accessible qu’aux résident·e·s israélien·ne·s.

Quant aux conditions pour devenir gestatrice, celle-ci doit appartenir à la même religion que les parents d’intention mais ne peut pas provenir de la même famille. Elle peut être mariée ou non mais doit avoir entre 22 et 39 ans, avoir déjà donné naissance à un ou des enfants dont elle est la mère et enfin, elle ne peut avoir donné naissance à plus de 4 reprises.

La gestatrice doit aussi démontrer de l’absence d’un casier judiciaire, d’un état physique et psychologique jugé adapté, et d’un historique de grossesses et de naissances sans complications médicales (si elle a subi par exemple 2 césariennes ou une naissance prématurée, son dossier risque d’être refusé). Elle peut avoir suivi 3 grossesses de GPA mais pas plus de 2 naissances (parfois les grossesses se terminent par des fausses couches ou un avortement).

L’État israélien permet la libéralisation de l’échange monétaire et de la mise en relation des parents d’intention avec les gestatrices, procédures laissées à la gestion des agences privées dont l’action n’est pas régulée par les institutions publiques. En effet, l’indemnisation de la gestatrice est obligatoire dans la loi mais n’est pas régulée par elle, la somme décidée étant propre à chaque contrat. Les sommes moyennes tournent actuellement autour de 160 mille shekels [40 mille euros] pour la gestatrice (hors suppléments exceptionnels) et 10-20 mille euros de frais d’agence, soit un coût total d’environ 60 mille euros. Selon les données issues du site du ministère de la Santé israélien, 823 enfants sont nés par GPA entre 1996 et 2017 (666 accouchements) pour 1458 demandes, avec une tendance à l’augmentation du nombre de demandes.

« J’ai détesté être comme tout le monde » : Origines et trajectoire

Michal Raz : Dans quel type de famille as-tu grandi ?

Orit Chorowicz Bar-am : Mes deux grands-parents ont fui la Pologne après la Première Guerre mondiale. Un grand père est arrivé au Brésil, où est né mon père, et l’autre en Argentine, où est née ma mère. Mes parents sont arrivés seuls en Israël entre leurs 18 et 20 ans et se sont rencontrés à Jérusalem. Après ils ont déménagé à Tel-Aviv dans l’appartement où on a grandi, mon frère, ma sœur et moi et où ma mère vit toujours d’ailleurs.

Michal Raz : Et que faisaient tes parents comme métier ?

Orit Chorowicz Bar-am : Mon père travaillait dans l’électronique, rien à voir, et ma mère était assistante sociale. Quand j’étais en maternelle, elle travaillait dans le service d’adoption et je me souviens qu’il y avait différents rituels à la maison autour de l’adoption. Donc voir ma mère dans ce rôle-là était important. Et je me souviens aussi de lui avoir demandé : « Tu vas vraiment avec un bébé dans les bras et tu le leur donnes ? » et ça m’a vraiment beaucoup intéressée. J’ai grandi donc avec l’idée qu’il y avait des gens qui ne peuvent pas enfanter et je crois que cela a certainement joué dans ma motivation et ma compréhension du phénomène. Parce que tout le monde est élevé avec l’idée de papa-maman-bébé, l’idée de famille hétérosexuelle normative, mais l’adoption c’était quelque chose de différent.

Michal Raz : Tu étais quel type d’enfant ?

Orit Chorowicz Bar-am : Mon enfance et adolescence étaient surtout liées aux scouts4. J’avais du mal avec l’école, scolairement et socialement. J’étais la grosse de la classe. Au lycée ça allait mieux mais sinon je ne me sentais pas appartenir la plupart du temps. Les scouts c’était mon refuge, un endroit où j’étais acceptée, pas comme dans d’autres cadres. Le quartier où on a grandi est une forme de cocon avec une population relativement aisée, mais qui a aussi un côté très normatif et moi j’ai détesté être comme tout le monde. L’exclusion que j’ai vécue en CM2 a changé un truc dans mon cerveau qui fait que celui qui est différent, c’est quelqu’un que j’accepte. Point.

Michal Raz : Quel était ton parcours après le bac ?

Orit Chorowicz Bar-am : Après le service militaire et un séjour en Amérique du sud, je me suis inscrite à la fac pour une Licence de sciences sociales, et quand j’ai fini, je pense que j’ai déjà rencontré Amit [son conjoint]. Et deux ans après, j’ai commencé un Master en conseil éducatif sur la petite enfance. Quand j’ai rendu mon mémoire, j’étais enceinte avec mon aîné qui a aujourd’hui 7 ans et demi, et c’était la dernière fois que je faisais des études jusqu’à maintenant, car j’ai décidé de faire une thèse.

« Car je le fais bien et ça me fait du bien » : Devenir gestatrice

Michal Raz : Comment est arrivé le moment où tu as commencé à penser à la GPA ?

Orit Chorowicz Bar-am : C’était après la naissance de mon petit et l’accouchement merveilleux que j’ai vécu, tout comme celui du premier. Le premier était un accouchement naturel. Je savais que c’était ce que je visais. Je le voulais vraiment et j’ai réussi. Donc je me suis dit « OK, pour le deuxième aussi je vais viser la même chose ». Et en effet, c’était pareil. J’ai eu une grossesse incroyable et un accouchement tout aussi incroyable.

Et je me souviens que j’étais dans un cours sur le développement du bébé avec une copine qui a accouché au même moment que moi, et il y avait une vidéo sur la gestation pour autrui. Et je lui disais « wow, tu sais, c’est quelque chose que je ferais ». Et ma copine, qui avait eu un accouchement d’enfer, me regarde et me dit : « t’es folle ! ».

À ce moment-là, le petit avait trois mois et je me suis dit « bon, ok c’est pas le moment ». Mais c’était resté dans ma tête et de temps en temps ça revenait, parce que j’ai compris que j’étais bonne pour ça, et que je voulais le revivre une nouvelle fois, alors que c’était très clair pour nous qu’on ne voulait plus d’enfant. D’ailleurs, ça n’arrive pas à toutes les gestatrices, pas du tout. Il y en a plein qui accouchent après leur GPA, mais c’était évident pour moi que je voulais juste une autre grossesse et un autre accouchement puisque je le fais bien, et que ça me fait du bien.

Michal Raz : Qu’est-ce qu’elle t’apporte cette expérience ?

Orit Chorowicz Bar-am : Après chaque naissance j’ai grandi. Après celle de l’aîné, j’ai ouvert mon entreprise de consultante. Après celle du petit, j’ai décidé que j’allais être une référence médiatique sur la petite enfance, et je l’ai fait, et ça m’a ouvert plein de portes vers de nouvelles choses. Et à chaque naissance, il y a quelque chose qui est né en moi aussi, à part le bébé. C’était très différent de mes copines qui avaient presque toutes fait une FIV, une césarienne d’urgence, ou une ventouse… Et j’ai compris que mon expérience n’allait pas de soi. J’accouche, et puis je m’assois en tailleur sans problème. J’accouche et je m’assois, le bébé est là, puis j’ai faim, j’ai besoin de manger. À la naissance du petit, on est rentrés à la maison après 48 heures, c’était 10 heures du matin, et à 15h j’allais déjà chercher le grand à l’école.

Michal Raz : À quel moment tu as commencé à te renseigner pour savoir comment se passe la GPA ?

Orit Chorowicz Bar-am : Un jour, j’ai regardé les critères et je n’étais pas sûre que ça allait marcher, même si en moi je savais que ça allait fonctionner car je n’avais pas de souci de santé ou autre raison pour ne pas être acceptée. Et après je l’ai dit à mon conjoint et il a pensé que j’étais devenue folle, vraiment. Mais bon, il sait que, enfin il espérait que ça allait me passer disons, puis ça n’est pas passé. Et quand j’ai vu un post sur Facebook d’une femme qui cherchait une gestatrice, je lui ai demandé son numéro et je suis allée la rencontrer, et c’était elle qui a gagné au final, la première et la dernière. La seule mère d’intention que j’aie rencontrée. Puis quand mon conjoint a entendu leur histoire de vie, qui est réellement très spéciale, émouvante et triste, il a dit « on doit le faire ». Donc, voilà, on a commencé à la paperasse et la construction du lien entre nous et puis moi, avec moi-même, j’avançais dans ma propre façon de digérer ce choix.

Michal Raz : Tu parles beaucoup de choix…

Orit Chorowicz Bar-am : Oui, mais le choix était d’abord le mien. Je ne l’ai pas fait pour les parents d’intention. C’était des étrangers. Ils ne le sont plus aujourd’hui mais quand même, ça aurait pu être n’importe qui qui m’aurait raconté une histoire émouvante, et je me serais connectée et probablement j’aurais continué. La GPA ce n’est pas pour eux, je ne le fais pas pour réaliser le rêve de quelqu’un, mais d’abord pour moi. C’est gagnant-gagnant, car l’expérience répond aussi à mes besoins et à mes envies de revivre une grossesse et un accouchement, pas seulement à ceux des parents. Leur but est d’avoir un bébé, donc chacun a des objectifs personnels qui peuvent se réaliser. Bien sûr que dans un deuxième temps, tu les rencontres et ils ont un visage et tu te dis « oh ! comme je voudrais qu’ils tiennent déjà le bébé dans leurs bras ! », mais le plus primaire c’est ton choix avec toi-même.

Michal Raz : Et l’aspect économique a été un argument dans le processus ?

Orit Chorowicz Bar-am : Non. Je ne savais même pas combien on payait pour une GPA quand j’ai commencé à y penser. Et sur internet, je n’ai pas vraiment trouvé de chiffres, ce n’était pas clair du tout. Et quand on m’a dit « 160 mille shekels5» j’ai dit « super », mais si on m’avait dit 100 mille, j’aurais dit super aussi. C’était clair pour moi que je voulais recevoir de l’argent pour ça, je veux dire c’était évident qu’il fallait m’indemniser financièrement sur tout ça car j’y investissais beaucoup de temps et d’énergie et ce n’est pas du bénévolat.

Certains arguments, même féministes, disent « tu veux le faire, fais-le par altruisme ! » Et ça, à mon sens c’est exactement le contraire, car qu’est-ce qui est dit au juste ? Tu dois réaliser ton rôle de femme et renoncer à toi-même, à tes besoins, à ce que tu mérites réellement ? Ceci dit, si on pense à ce que je mériterais vraiment pour une GPA, on devrait avoir des millions, ça a pas vraiment de prix, ni la vie humaine, ni mes douleurs. Comment veux-tu chiffrer les douleurs des contractions ? Pas possible ! Il n’y a rien, rien de plus douloureux que ça. C’est pour ça que la question n’est pas combien d’argent je reçois. Clairement, je voulais avoir de l’argent pour moi, pour gâter ma famille, qui a donné beaucoup durant ce processus. Mais ce n’était pas un argument au sens où je le faisais parce que j’avais besoin de cet argent. Je n’avais pas besoin de cet argent, j’ai continué à travailler pendant tout le processus, comme à toutes mes grossesses, jusqu’au neuvième mois.

Michal Raz : Tu as écrit que c’est un processus qu’on ne peut pas définir en termes de travail. Surtout parce que c’est 24h/24 et bien sûr s’il fallait le payer comme un travail ce serait beaucoup plus. Mais il y a quand même un échange d’argent et de service. Comment pourrait-on définir alors cet acte ? Sa signification ?

Orit Chorowicz Bar-am : Il y a une indemnisation financière pour ton temps et ton investissement et tout ce que tu fais pour que ça marche. Mais qu’est-ce qu’une indemnisation pour un investissement émotionnel ? Il n’y en a pas. Tu y es engagée avec tout ton corps et âme, et il n’y a aucun, aucun emploi dans l’univers qui implique autant de choses. C’est incomparable. Et on essaie toujours de le comparer en disant « la GPA c’est comme la prostitution » ou « c’est comme le trafic d’organes » ou pour dire que la relation avec la mère d’intention c’est « comme la famille ». Et moi je dis : je l’aime profondément, on a traversé une expérience incroyable mais elle n’est pas ma pote ni ma famille. La GPA a du mal à rentrer dans les catégories sociales habituelles.

D’ailleurs, l’État ne sait pas bien comment le gérer, car les procédures après la naissance c’est comme une adoption, où les parents biologiques du bébé doivent obtenir un certificat de parentalité comme pour l’adoption, et entre temps c’est l’État qui en est le tuteur officiel. Tout le dispositif légal a été pensé sur le modèle de l’adoption qui n’est pas adapté, sans doute parce que nous, les gestatrices, on a jamais été écoutées ou même invitées à participer à la prise de décision, et ça, c’est vraiment la première et la plus importante de nos revendications.

Michal Raz : Et tu as dû signer un document qui dit que tu « renonces » à l’enfant ?

Orit Chorowicz Bar-am : Oui, j’ai dû signer un papier qui disais que j’acceptais de renoncer à ce bébé. Mais comment ça ? Prenez-le ! Je ne veux pas de bébé ! Laissez-moi [rires] ! Et sérieusement, les gens ne comprennent pas, ils te demandent « comment tu as fait pour le donner ? C’est à toi, il est sorti de toi ! ». Mais non, il n’est pas à moi. D’abord, tu fais cette grossesse pas parce que tu veux un bébé, mais parce que tu veux que quelqu’un d’autre ait un bébé, donc voilà. Alors quoi ? maintenant qu’il va sortir tout à coup je vais avoir envie d’un bébé ? « ah ! oui je viens de me rappeler, au fait si je veux un bébé ! ». Aussi, le processus mental que tu fais est très profond. Ce n’est pas à toi, à aucun moment il est à toi. Et tu ne l’imagines jamais comme ça, et tu ne veux pas qu’il soit à toi. Les seuls qui peuvent le vouloir ce sont tes enfants, et pour cela il est important de bien séparer les choses et de dire « voilà les parents du petit Pundakon », qu’ils les rencontrent pour que quand ils disent « je veux un autre frère » je leur dirai « non, vous n’en aurez pas, pas celui-là et pas un autre ».

Alors certaines opposantes aiment parler de ce cas qui a eu lieu aux États-Unis avec Merybeth, la gestatrice qui a refusé de rendre l’enfant. Bon il y a deux cas compliqués comme cela. Un où la gestatrice voulait pas rendre le bébé après la naissance6, et un autre cas intéressant d’une gestatrice qui n’a pas accepté d’avorter quand une malformation a été découverte chez le fœtus. Et ils sont allés au tribunal et au final elle a accouché, on ne pouvait pas la forcer d’avorter, mais ce n’était pas son enfant, donc ses parents l’ont donné à l’adoption et ils ont quand même gardé contact avec lui. Ces cas-là sont extrêmement rares à travers le monde7, et ont eu lieu surtout dans des configurations de GPA dite partielle, dans laquelle la gestatrice a un lien génétique avec l’enfant8. Mais il y en a qui vont montrer ces cas-là en disant que tu peux rentrer dans le processus et hop ! quelque chose va tourner en toi. Mais c’est vrai pour tout, et ce n’est toujours pas une raison d’empêcher les gens de le faire. Pour minimiser ces incidents, si une femme dit qu’elle est contre l’avortement, on essaiera de lui trouver un couple anti-avortement aussi. S’il n’y a pas de compatibilité, bien sûr que ça peut être problématique.

Michal Raz : Et justement comment as-tu mis en place l’accord autour du processus avec les parents d’intention ?

Orit Chorowicz Bar-am : Il y a un formulaire du Ministère de la santé qui s’appelle « Accord sur les attentes » qui fait partie des documents à fournir à la commission et qui te dit « en fait, voilà les sujets qu’il faut couvrir avant » et ça doit être signé par les deux parties. En réalité, il y a des choses importantes dedans, mais pas tout. Par exemple, qu’est-ce qu’on fait si le processus n’aboutit pas ?

D’ailleurs, en Israël le taux d’échec est très élevé : autour de 50% des processus de GPA ne se concluent pas par un bébé. C’est 50/50 et tu dois le savoir, en tant que gestatrice et en tant que parents qui viennent en pensant « bon, on a fini les traitements et les fausses couches, enfin on aura le bébé ». Mais c’est pas sûr, c’est pas sûr. En Israël, tu signes pour six tentatives avec un couple de parents d’intention, et si ces six-là n’ont pas marché, les parents peuvent signer avec une nouvelle gestatrice. À l’étranger, tu fais souvent deux essais avec une femme et si ça n’a pas pris, t’es out, c’est fini et on change de gestatrice. Parce que c’est comme un poulailler il y en a pleins. Et puisque tu n’as pas vraiment de relation avec la gestatrice, ça te change rien. Ce qui compte pour toi comme parent d’intention c’est d’avoir ce bébé dans tes bras plus tard. Mais ici c’est un peu différent parce que la place de la gestatrice est mieux pris en considération.

Michal Raz : Et c’était important pour toi de développer cette relation avec les parents d’intention ?

Orit Chorowicz Bar-am : Oui c’était évident. Pour moi, j’étais enceinte avec eux comme je l’avais été avec mon conjoint. Ce qui veut dire que quand je m’excite de quelque chose que je ressens et que mon conjoint ne peut pas le sentir, je partage ça avec lui. Quand le fœtus donnait des coups de pied ou quand je ne me sentais pas bien, la plupart des choses je les ai partagées avec eux. Et bien sûr, mon conjoint aussi m’a soutenue et était là tout le temps. Quand on a fait l’implantation des embryons, je tenais mon conjoint avec la main gauche, et la mère d’intention avec la main droite. J’étais allongée là et on fermait tous les yeux et ça nous connectait. Car ils ont fait entrer dans mon corps quelque chose d’eux qui est à eux. Et à mon sens on peut dire qu’en Israël la GPA est fondée sur la relation. C’est son essence : le lien. Car dès que tu fais une GPA avec une femme qui parle ta langue, qui vient de ta culture, de ta société, et que c’est une femme qui a un statut social probablement élevé, ou en tout cas similaire à celui des parents d’intention, ça produit quelque chose de différent.

Exploitation ou acte féministe ?

Michal Raz : Tu as écrit sur ton blog que cet acte était un acte de solidarité entre femmes, voire un acte féministe qui comporte un choix personnel et indépendant voire un empowerment…

Orit Chorowicz Bar-am : Oui, parce qu’il y a là une rencontre entre une femme qui ne peut pas et une femme qui peut et qui lui dit « viens je vais t’aider ! ». C’est aussi simple que cela. On peut dire, comme beaucoup de gens, « Adopte ! pourquoi tu as besoin d’un enfant biologique ? ». Mais je ne le vois pas comme ça, sauf quand c’est une GPA pour la deuxième fois. Ça j’ai du mal, parce que pour la gestatrice c’est quand même un peu injuste envers sa famille d’imposer une longue période de stress9.

Et parlant de féminisme, j’ai une amie gestatrice qui dit toujours que la GPA est la chose la plus féministe qu’elle n’ait jamais faite. Et moi aussi je le vois comme ça, parce que pour moi le fait que je puisse décider de terminer une grossesse si je le souhaite, c’est comme le droit de décider avec quelle grossesse je vis. Et moi j’ai vécu deux fois avec des grossesses à moi, et une fois avec une grossesse de quelqu’un d’autre, parce que je veux et je peux. C’est totalement le contraire de ce qu’on dit des gestatrices infériorisées.

Michal Raz : Et en effet, dans le discours et les arguments sur l’exploitation, les gens disent que c’est hypocrite de prétendre que ce n’est que du don si ça fait partie d’un marché international. Ce qui le transforme en un processus dans lequel, le plus souvent, la gestatrice est plus pauvre que les parents d’intention qui doivent payer ces sommes d’argent. Avec l’argument : « le jour où il y aura une femme riche qui accepterait d’être gestatrice pour des parents pauvres ça prouverait que c’est plus égalitaire ».

Orit Chorowicz Bar-am : Exactement. Par exemple une copine qui l’a fait en Géorgie et qui dit « j’ai d’abord choisi l’agence la plus chère qui me garantisse ceci ou cela… », puis elle a voyagé pour l’échographie morphologique et il y a même eu une interprète dans la pièce au moment de l’échange avec les parents d’intention. Et ben pour moi, c’est beaucoup d’intermédiaires, et c’est beaucoup trop éloigné comme processus. Même si tu es là-bas pour être aux côtés de la gestatrice géorgienne, il y a une distance. Par contre, en Israël c’est très proche, parce que tout est dans la proximité ici. Celles qui sont en Inde, en Ukraine, en Géorgie ce n’est pas pareil. La GPA en Israël ressemble plus à celle d’Amérique du Nord mais elle est quand même différente en ce que là-bas tout est privatisé et tout se passe sur le marché privé, tandis qu’ici c’est régulé par le ministère. Bon, pas tout, ce n’est pas exact, car il y a aussi des choses qui se passent sur le marché privé : justement tout ce monde des agences de GPA. Tout le processus pour arriver devant la commission avec un contrat et tout ce qui est exigé – les rencontres, les arrangements, la mise en relation et la bureaucratie -, ce sont les agences privées qui sont derrière et qui gèrent chaque dossier.

Et là c’est un marché où s’écoule une grande quantité d’argent. Et moi je dis toujours que celle ou ceux qui sont le plus exploité.e.s dans ce processus ce sont les parents d’intention, parce qu’ils y viennent d’une position très faible émotionnellement. Souvent c’est une femme qui a subi l’enfer en essayant de tomber enceinte. Et eux ne veulent qu’une chose : un enfant. Et ils arrivent à une agence qui leur fait de grandes promesses, qui leur dit « d’ici 6 ou 8 mois on vous trouvera une gestatrice » et des trucs du genre. Des promesses qui n’ont pas forcément de rapport avec la réalité. C’est exploiter les parents qui vont donner tout ce qu’ils ont. Je connais tellement de parents qui ont pris un deuxième emprunt pour financer ça. Les agences en font une fortune incroyable !

En Israël, un peu comme eux États-Unis, si l’on croit ce que j’ai lu sur le sujet, on est dans une approche de gestatrice qui prend les devants, et qui a un statut social plutôt élevé. Donc il y a cette image commune de la pauvre gestatrice en Inde ou en Ukraine, qui est vraiment maltraitée, comme je viens de lire dans un article sur les gestatrices qu’on retire à leur famille en Ukraine, des Surrogate Workers qui ne sont pas chez elles, mais dans ce que j’appelle des poulaillers, des lieux éloignés de leur famille10. Et il n’y a personne qui prend soin d’elles, qui voit leurs besoins, donc ça me fait très mal au cœur quand la copine me disait qu’elle allait faire une GPA en Géorgie. Parce qu’il faut prendre en considération que dès que tu fais une GPA internationale dans un endroit qui n’est pas l’Amérique du Nord, tu es proche de la pure exploitation de ces femmes.

Michal Raz : Pour toi, quels étaient les moments les plus difficiles ?

Orit Chorowicz Bar-am : Sans doute les conflits avec la mère d’intention quand ses angoisses ont dépassé les limites du bon goût. Surtout la manière dont elle a réagi quand j’ai fait une fausse couche. Là c’était le plus dur car j’avais eu deux enfants avant et zéro fausse couche, rien. Et j’étais là pour mes copines qui ont traversé les traitements pour infertilité et tout ça, mais je n’avais pas réalisé ce que ça voulait dire, tous les tests qu’il fallait faire, et le fait d’entrer dans cette usine autour de l’infertilité qui concerne plein, plein de femmes. Et pour moi c’était important qu’il n’y ait pas d’intervention externe si possible, et la mère d’intention insistait, elle était très endeuillée et ne me lâchait pas. Et je lui ai dit que je comprenais qu’elle se soucie pour moi mais que ça ne me faisait pas de bien. Je lui ai dit un jour : « Certes, c’était ton fœtus mais il n’y est plus, donc de nouveau mon corps n’appartient qu’à moi ! ».

J’ai même hésité à continuer et je me suis dit que s’il y avait une nouvelle fausse couche, j’arrêterais. Parce que comme je l’ai dit, le but de cette expérience c’était de me faire du bien.

Michal Raz : Et dans les réactions des gens il n’y avait rien de déstabilisant ?

Orit Chorowicz Bar-am : Il y en avait des réactions, mais j’y suis venue avec beaucoup d’assurance. Il y a eu seulement une réaction su mon blog dans Haaretz, qui m’a beaucoup choquée. C’était quand on m’a écrit que je traumatisais mes enfants. Ça m’a bouleversée parce que je voulais plutôt que mes enfants en apprennent une leçon pour la vie, comme nous tous, une leçon de don, d’amour et de solidarité entre femmes. Mes enfants disent toujours que c’est moi la plus forte à la maison car c’est moi qui leur ai donné naissance. Cette réaction m’a secouée, même si comme spécialiste de la petite enfance je sais très bien que ce n’est pas vrai, je sais qu’à cet âge-là on ne fait qu’apprendre des choses, s’ouvrir à pluralité des possibles.

Michal Raz : Tu parlais des critiques quant à la procédure et la médicalisation imposée, tu pourrais nous en dire plus ?

Orit Chorowicz Bar-am : Oui. Moi j’ai tout fait sans hormones, et je ne voulais pas non plus de césarienne. Mais je voyais qu’ailleurs, les médecins ou les parents d’intention te mettent la pression sur ce genre de choses. En Géorgie, en Inde, c’est que des césariennes. On fixe une date et on synchronise l’arrivée des parents, ça marche comme ça. Donc oui, il y a une tendance à la médicalisation. Mais moi, depuis que j’ai arrêté la pilule quand je voulais tomber enceinte avec mon aîné, je ne voulais plus prendre des hormones. Après coup, j’ai réalisé à quel point ça m’a fait du mal, j’avais des migraines, etc. Et j’ai dit « plus jamais ». Et en plus, pour la GPA, c’est des tonnes d’hormones, beaucoup plus que ce qu’il y a dans la pilule. Je serais totalement effacée, effacée.

Donc je voulais le minimum d’intervention. Je sais qu’il y a maintenant plus de prise de conscience là-dessus pour les gestatrices mais à l’époque, il y a quelques années, c’était quasi obligé. Et j’ai demandé au médecin, qui m’a dit que ça facilitait l’organisation de l’agenda car comme ça c’est le médecin qui décide du jour et pas mon ovulation spontanée. Donc il y a des gestatrices qui veulent des hormones et d’autres qui n’en veulent pas. Aujourd’hui, on sait que c’est possible parce que nous, gestatrices, en parlons, et les médecins en parlent un peu plus. En tout cas, à mon avis, l’intervention médicale doit avoir lieu seulement en cas de nécessité.

Et puis au début, quand j’ai dit à la mère d’intention que je voulais la salle d’accouchement naturel elle était en panique, parce qu’elle avait lu sur internet qu’il n’y avait pas de médecin. Puis je lui ai dit « ce n’est pas une salle dans la forêt, c’est à l’hôpital, à la maternité ! ». Dans une salle d’accouchement habituelle il n’y a pas de médecin non plus.

« Parlez avec nous pas sur nous » : l’importance du collectif

Michal Raz : Une dernière chose importante que tu as mentionnée était la création d’un collectif de gestatrices pour pouvoir échanger de l’information et avoir un soutien concret et psychologique que tu n’avais pas au début. C’est vrai qu’on présente souvent ce processus en pensant à une femme qui le fait individuellement. Est-ce que c’est en train de changer ?

Orit Chorowicz Bar-am : Oui, on est en train de créer une association, puisque justement toute l’information qui existe sur internet et qui est promue par Google, ce sont des informations appartenant à des entreprises privées. Mais nous, en tant que gestatrices, on n’a pas d’intérêt, sauf celui d’aider d’autres femmes à traverser au mieux ce processus. Et dès qu’on m’a fait entrer dans la communauté, ça m’a vraiment beaucoup soulagée d’avoir un réseau de soutien de femmes. Je les consultais pas souvent mais même des petits échanges comme « croisez les doigts pour moi ! » etc. ça aide, car il y a des choses que seules les gestatrices comprennent.

Michal Raz : Et ta thèse de doctorat portera sur quoi ?

Orit Chorowicz Bar-am  : Ma recherche va porter sur les gestatrices militantes. En juillet 2018, il y a eu une mobilisation pour l’égalité des droits qui a été déclenchée dans le cadre des débats sur la nouvelle loi sur la GPA, et à ce moment-là, il y a eu comme un coming out collectif des gestatrices. On a changé la loi pour que des femmes célibataires puissent avoir accès à la GPA, ce qui ouvre aussi la possibilité aux couples lesbiens. Mais il reste impossible d’y avoir accès en tant qu’homme célibataire ou couple d’hommes. Et c’est là-dessus que la « protestation pour l’égalité » a pris de la force. Et à l’époque, j’étais à la manifestation comme une gestatrice au placard. Je voyais tous les débats et j’avais envie de réagir, d’écrire ! Mais ce n’était pas possible de le faire sans dire que j’étais moi-même là-dedans.

Et les gestatrices ont commencé à faire entendre leur voix de façon collective. Elles donnaient des interviews et il y avait plein d’articles dans les journaux et à la télévision. Elles disaient : « Parlez avec nous, pas sur nous » ou « Puisque vous parlez de la loi sur la GPA, les dangers, les oppositions etc., laissez-nous vous expliquer comment ça se passe ici en Israël ! ». Elles répondaient par exemple à l’argument de la pénurie en cas d’ouverture de la GPA aux hommes, l’argument selon lequel il y aurait plus de demande que d’offre pour les pauvres mères d’intention qui attendraient dans la même liste que les hommes gays. Certaines gestatrices répondaient, à leur tour, qu’elles voulaient le faire seulement pour des hommes gays. D’autres racontaient que l’idée de la GPA leur est venue par des amis homos et qu’elles ont fini par le faire pour des hétéros parce que c’était interdit.

C’est intéressant aussi parce que l’activisme des femmes en Israël marche toujours dans le contexte de la reproduction et de la maternité. Ce qui nous donne du pouvoir mais qui nous infériorise aussi. Parce que tu te dis : « en tant que femme tu as ton mot à dire seulement quand ça concerne ton utérus ? » Et la réponse est oui … [rires]. Et c’est ce qui s’est passé en 2018 quand les gestatrices ont demandé « pourquoi on ne nous invite pas à ces débats parlementaires qui nous concernent ? ». Donc au final, on est toutes sous le régime de l’État d’Israël qui est détenteur de notre utérus.

J’aimerais créer une charte qui explique ce que c’est la GPA, et quelle est la meilleure manière pour la gestatrice de vivre ce processus, car c’est elle qui sacrifie le plus. Comment faire cela au mieux, sans que ce soit dans l’exploitation, l’infériorisation, mais au contraire, pour que ça devienne une expérience enrichissante qui renforce et améliore notre vie. Parce qu’il est possible de le faire de façon positive, comme il est possible de le faire par une atroce exploitation.

Post-scriptum

En février 2021, le tribunal a autorisé la publication d’une plainte en cours contre Sharon et 5 autres gestatrices de la part d’une agence de GPA pour avoir publié des écrits sur un groupe Facebook fermé dans lesquels elles ont partagé des aspects négatifs de l’expérience de gestatrices. L’agence privée demande environ 150 mille euros, et sa plainte a eu pour effet la mise en silence des gestatrices et a entravé la création de leur association visant à s’organiser collectivement pour défendre leurs droits.

Affaire à suivre…