Les Comités unitaires pour le travail étudiant (CUTE), organisés dans plusieurs régions du Québec, ont mené, durant les trois dernières années, une campagne sur le travail étudiant. Le but de celle-ci était de revendiquer un salaire pour le travail effectué à l’université en se concentrant sur sa partie la plus visible : les stages. Nous espérions ainsi politiser le travail qui se fait à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’université. Inspirée par les campagnes Wages for Housework et Wages for Students dans les années 1970, la stratégie de demander un salaire pour le travail effectué en stage visait à pointer du doigt la division genrée du travail : les domaines du care, de l’éducation et de la culture étant des domaines où les femmes sont surreprésentées et les stages non rémunérés, tandis que les stages dans les domaines traditionnellement et majoritairement masculins, comme l’ingénierie et l’informatique, sont rémunérés et souvent bien au-delà du salaire minimum. Cette revendication ne s’est pas faite sans tensions. Alors que la gauche étudiante québécoise a toujours défendu une éducation non marchande et revendiqué la gratuité scolaire, la stratégie du salariat a été perçue comme une façon insidieuse de marchandiser l’éducation et a été l’un des points de tension importants tout au long de la campagne1.

L’organisation au sein des programmes dits professionnalisants s’est cependant imposée, car c’est à l’intérieur de ceux-ci qu’on retrouve davantage de stages non payés ; pensons à l’éducation, les sciences infirmières ou le travail social. Ces lieux d’organisation différaient de ceux investis par le mouvement étudiant traditionnel, c’est-à-dire les programmes de sciences sociales non professionnalisants comme la sociologie ou les sciences politiques. L’organisation politique des programmes universitaires dits professionnalisants a souvent été délaissée par les mouvements de grève précédents, la population étudiante de ceux-ci étant perçue comme réactionnaire. Les étudiant.es des programmes techniques au sein des cégeps2 ont également été perçus comme étant des obstacles à la grève dans les mobilisations étudiantes passées.

Les CUTE venaient également chambarder l’organisation traditionnelle de la politique étudiante : notre mode d’organisation décentralisé et autonome vis-à-vis des associations étudiantes a rencontré une forte opposition de la part des acteur.rices gravitant dans ces institutions (notamment les exécutant.es et permanent.es d’associations étudiantes)3. Le pouvoir étudiant s’est généralement concentré dans les universités montréalaises, particulièrement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), perçu comme étant le berceau des mobilisations étudiantes québécoises. Les bases décentralisées de la campagne visaient ainsi à sortir de ces dynamiques pour donner plus de pouvoir aux étudiant.es organisé.es sur les différents campus, notamment à l’extérieur de Montréal.

Cette campagne s’est soldée par une semaine de grève à l’automne 2018 de plus de 60 000 étudiant.es et quelques semaines de grèves de plus petite envergure à l’hiver 2019. Ces moyens de pression ont permis de concrétiser la grève des stages et ont inspiré des campagnes similaires notamment en France, en Belgique et en Suisse romande. Le texte qui suit fait partie d’un exercice de bilan que nous avons fait suite à cette campagne et expose nos réflexions en lien avec la représentation et l’inclusion des personnes marginalisées dans les mouvements autonomes4.

 

La campagne pour la rémunération des stages a su briser bien des schèmes du mouvement étudiant traditionnel, que l’on pense à l’injonction à prendre part aux espaces informels pour avoir accès aux prises de décisions, aux violences quotidiennes de voir les enjeux féministes sans cesse relégués en fin d’ordre du jour ou encore la banalisation des violences à caractère sexuel et sexiste. L’organisation de la grève en dehors des structures étudiantes traditionnelles était novatrice : c’est par le biais des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE), des Comité pour la rémunération des internats et des stages (CRIS) et des coalitions régionales formées à Montréal, en Outaouais, à Sherbrooke, à Québec et dans les Laurentides que s’est orchestrée la mobilisation sur les campus. Ces espaces ont été pensés pour réunir à la fois des militant.es de groupes autonomes tels que les CUTE ou les comités féministes, des représentant.es de groupes d’intérêts comme les associations étudiantes ou encore toute personne participant sur une base individuelle. C’est à travers ceux-ci qu’ont été discutées et débattues les stratégies de mobilisation et d’élargissement de la campagne. La rémunération des stages concernant majoritairement des programmes typiquement féminins, la campagne fut organisée principalement par des femmes, et la nécessité d’assurer que les enjeux féministes définissent la lutte s’est imposée.

Malgré ces structures organisationnelles que nous voulions ouvertes, plusieurs groupes et individus ont refusé d’y participer en adressant des critiques quant aux discours et aux décisions stratégiques qui y étaient adoptées. Parmi ces critiques, certaines n’ont pas été rendues publiques, d’autres ont été formulées de façon anonyme et peu ont abouti dans les espaces mis en place pour débattre de l’organisation de la campagne. Dans ce texte, nous souhaitons exposer et répondre aux critiques en lien avec l’inclusivité qui ont été adressées aux militant.es du CUTE de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), groupe auquel nous avons participé durant la campagne pour la rémunération des stages. Cette réflexion s’effectue à partir d’une perspective de personnes marginalisées et invisibilisées5 dans le mouvement étudiant et tente de contribuer aux débats importants que suscitent ces enjeux pour nos luttes futures, tant dans le mouvement étudiant que dans nos milieux de travail. Ce n’est pas dans le but de régler des comptes que nous écrivons ce texte aujourd’hui, mais bien dans une volonté d’appel à la mobilisation dans le champ de la reproduction sociale6 et du travail gratuit. Nous pensons qu’il est essentiel que les personnes opprimées de multiples façons se sentent concernées par cette revendication puisqu’elles sont les principales exploitées dans le système capitaliste.

L’uqamocentrisme7 n’est pas inclusif

En novembre 2018, les assemblées générales de plusieurs associations étudiantes au Québec ont voté une semaine de grève. À Montréal, cette semaine s’est conclue par une assemblée de bilan à laquelle les militant.es des différents campus de la région étaient invité.es à l’UQAM pour tirer des leçons de la semaine et pour discuter des stratégies à adopter dans une perspective d’escalade des moyens de pression. Lors de cette rencontre, certain.es étudiant.es de l’UQAM ont mis en avant la blancheur du mouvement. Cette critique était accompagnée d’un refus de participer à la campagne tant que ses espaces d’organisation ne les représentaient pas. En réponse, une militante du CUTE UQAM mentionnait que la mobilisation dans les cégeps était une des principales clés pour rendre le mouvement plus diversifié, en raison de la forte proportion de personnes racisées et immigrantes dans les programmes techniques, mais que trop peu de personnes s’y consacraient. Cette idée a été balayée du revers de la main, en rappelant qu’on parlait ici de l’UQAM.

Cet échange représente bien un des points de tension rencontrés durant la grève à l’UQAM. En évitant les espaces d’organisation ouverts et en s’intéressant uniquement aux dynamiques uqamiennes, nous sommes d’avis que ces critiques ont manqué l’opportunité que représentait la grève pour la rémunération des stages. Celle-ci avait la capacité de rallier des personnes mises de côté par les mouvements traditionnels de grève étudiante et d’éviter, justement, le repli dans l’enceinte universitaire. Nous croyons que l’université ne peut être posée comme seul lieu d’analyse de l’inclusivité du mouvement de grève. D’abord, parce que cela sous-entend qu’elle est le lieu décisionnel du mouvement étudiant, là où tout se joue. Ensuite, parce qu’on évite alors d’interroger les structures mêmes qui font que l’université est blanche et privilégiée. Les stagiaires qui s’y organisent et prennent la parole ont de ce fait plus de chances de l’être.

Comme Juno Mac et Molly Smith l’évoquent concernant l’organisation politique des travailleuses du sexe, il faut aller plus loin que simplement cibler un mouvement de privilégié.es pour sa non-représentativité et interroger les structures qui causent ces iniquités dans les prises de paroles publiques :

Les quelques [travailleur.ses du sexe] qui subsistent (…) sont souvent écartés comme étant privilégiés, non représentatifs ou « de classe supérieure », mais la structure du travail sexuel est rarement interrogée correctement au niveau matériel. Il est à peu près juste de dire que la population du travail sexuel à qui est le plus souvent offerte une plate-forme substantielle pour parler publiquement correspond à un groupe qui vit dans les villes métropolitaines, qui obtient des tarifs plus élevés, qui a accès à plus de ressources et qui souffre le moins de criminalisation, mais c’est une négligence flagrante que d’arrêter l’analyse à ce stade. Pourquoi ces gens sont-ils la seule voix que vous entendez ? Quelles structures font taire les autres ? Les mécanismes qui produisent le silence, la précarité et la vulnérabilité de la plupart des travailleuses et travailleurs sexuels ne sont pas naturels ou universels pour la société, tout comme la classe sociale n’est pas naturelle8.

Dans le cadre de la campagne pour la rémunération des stages, il aurait donc été intéressant de réfléchir à l’inclusivité en observant les difficultés rencontrées durant le travail d’élargissement dans les cégeps, et particulièrement dans les programmes techniques. On aurait pu, par exemple, questionner certains blocages par des permanent.es salarié.es d’associations étudiantes ou encore la façon de ridiculiser la campagne à travers des moqueries partagées anonymement sur les réseaux sociaux. Ce mépris de classe est à l’image des dynamiques qui se reproduisent sur les milieux de travail et hors de ceux-ci, par exemple entre les technicien.nes et les professionnel.les [l’équivalent approximatif des cadres et professions libérales en France]. Ce refus de se solidariser, alimenté par le corporatisme professionnel, mine nos capacités d’organisation. Comment pouvons-nous espérer construire des mouvements dans nos futurs milieux de travail si avant même d’avoir gradué [obtenu l’équivalent d’une licence universitaire], nous tournons le dos aux futur.es technicien.nes et gens de métiers ?

De la même façon, s’il est impératif de rappeler le problème de la blancheur du mouvement étudiant francophone, il nous apparaît paradoxal de critiquer un groupe qui s’organise dans et contre l’université sur la base de son manque de représentativité. Les étudiant.es de l’université ne sont pas représentatif.ves de l’ensemble de la société : tout au long de la campagne, il a été question du rôle de l’université, en tant qu’institution, dans la reproduction des inégalités déjà présentes dans la société, à laquelle participent les stages non rémunérés. Nous avons voulu rompre, justement, avec une vision idéale de l’université non marchande, qui alimente le mythe selon lequel la gratuité scolaire nous rendrait tout.es égales et égaux.

Plus encore, il y a un paradoxe dans le fait d’exiger une forme de représentativité au sein des comités autonomes : les militant.es ne représentent qu’elles et eux-mêmes et ne prétendent à rien d’autre. Pour y être représenté.e, il faut donc s’y impliquer. C’est pour cette raison que les structures permettaient, en théorie, à toutes les personnes impliquées de participer à la définition de la lutte et à la prise en charge du discours. La voie était ouverte pour que d’autres groupes politiques autonomes, comme les groupes de personnes racisées déjà organisés sur les campus, participent à la réflexion et à la mobilisation. Cependant, le réflexe d’aborder l’inclusivité en tant que demande n’est pas surprenant : il s’agit d’une conséquence de la façon dont s’est traditionnellement organisé le mouvement étudiant, et plus largement le mouvement syndical et la politique en général, c’est-à-dire par la démocratie représentative. Alors que les critiques se sont concentrées sur l’aspect visible de l’inclusivité, soit dans les médias et dans la composition des espaces d’organisation, rappelons qu’il y a tout un travail acharné de la part des militant.es à rendre ces espaces inclusifs. Suivant la division genrée du travail qui n’échappe pas aux espaces d’organisation étudiants (incluant ceux qui ont servi à la présente grève), ce travail d’inclusivité sera plus souvent qu’autrement relégué aux femmes et aux personnes marginalisées. Organiser un service de garde, planifier un atelier sur l’intersectionnalité ou un camp de formation pour que tout.es puissent participer également, s’assurer qu’un espace soit accessible : ces tâches sont rarement prises en charge par les allié.es et quand elles le sont, les résultats sont souvent décevants, iels n’ayant pas le savoir expérientiel pour prendre en charge ce travail correctement. Aussi essentiel ce travail soit-il pour le mouvement, il en résulte une fatigue supplémentaire pour nous qui tentons de faire des liens entre nos oppressions spécifiques et la lutte, souhaitant voir nos communautés s’investir davantage à nos côtés, sans que cela ne suffise. On peut donc comprendre le choix de déserter ces espaces parce qu’on ne souhaite pas investir du temps et de l’énergie dans l’abolition des obstacles à l’inclusivité. Toutefois, il est alors évident que le mouvement ou les espaces ne représenteront pas la diversité et la complexité des identités.

Se réapproprier le discours

Paradoxalement, les tentatives de rapprochement avec d’autres groupes qui s’organisent contre l’exploitation de leur travail où se retrouvent davantage de personnes racisées ont été critiquées comme une tentative d’appropriation. Par exemple, une exécutante de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’UQAM a fustigé deux militantes de faire un lien ténu dans leur article entre les luttes des travailleuses du sexe, des travailleuses migrantes et des stagiaires, sous le prétexte qu’il s’agissait d’une appropriation des luttes sans que des liens réels n’aient été créés avec les femmes qui vivent ces enjeux. Ou encore, le refus de certain.es militant.es à la Coalition montréalaise d’envoyer une lettre de solidarité aux enseignant.es-stagiaires gabonais.es en grève, sous le motif que le contexte national rendait la situation de ces grévistes fondamentalement différente de la nôtre.

Selon nous, proposer une analyse et chercher à créer des ponts entre les luttes n’est pas en soi un signe d’appropriation. Bien au contraire, c’est à partir d’une analyse sur la division internationale du travail9 que des liens ont été créés tant sur le plan local qu’à l’international sur le terrain de la reproduction sociale. Il s’agit là d’une façon de reconnaître l’organisation et le travail politique mené par d’autres groupes, dont plusieurs sont composés en plus grand nombre de femmes, de personnes racisées et de personnes marginalisées, tout en respectant leur autonomie10. L’inégalité de statut ou de privilèges d’un groupe par rapport à un autre ne devrait pas anéantir toute possibilité de collaboration, et plus encore de reconnaissance. C’est à partir de ce point de départ que nous voulions sortir des murs de l’université. Le mouvement étudiant s’est trop souvent cantonné à défendre les intérêts élitistes d’une éducation soi-disant « non marchande », dédaignant ainsi les programmes « professionnalisants » et techniques, où on retrouve davantage de personnes racisées, de personnes qui font un retour aux études et des parents étudiants. Mener la lutte au sein de ces programmes typiquement féminins signifiait du même coup créer de liens théoriques féconds avec les luttes dans le champ du travail reproductif, entre autres avec les travailleuses du sexe et les travailleuses migrantes.

À notre avis, l’accusation de n’avoir aucun point en commun avec ces luttes pose également problème à plusieurs égards. Premièrement, parce qu’à chaque fois qu’on dit que les personnes racisées, queer, en situation de handicap n’existent pas dans le mouvement, cela contribue à nous invisibiliser, nous et plusieurs autres, en tant que personnes minorisées, ainsi que le travail acharné que nous effectuons. Cette demande sous-entend la nécessité de nous exposer nous-mêmes et notre vécu, alors que nous pensons qu’il serait illégitime de se poser en tant que « représentant.e » d’une identité. Nous rejetons l’injonction de devoir s’afficher pour avoir le droit de parler de ces luttes. Malgré tout, plusieurs l’ont fait, en parlant, par exemple, de racisme durant les stages en soins infirmiers, des pressions au cis-straight passing en stage ou encore des difficultés de la conciliation travail, études, famille. Plus encore, presque toutes les personnes impliquées dans un comité autonome, qu’elles soient racisées, trans, parents, handicapées, ont pris la parole publiquement dans les médias, les assemblées générales, les ateliers de formation ou dans des textes diffusés largement. Peut-être les avez-vous ignoré.es ?

Grève des femmes ou la grève d’être une femme

L’usage des discours et des slogans sur la grève des femmes a également été critiqué puisqu’elle refléterait la binarité de genre, invisibilisant le travail des personnes queers, trans et non-binaires dans le mouvement. Les personnes ayant partagé ces commentaires n’ont toutefois pas su dépasser le stade de la critique. Aucune analyse plus inclusive n’a été proposée ou encore produite de manière autonome aux CUTE.

Pourtant, les questions tant de la transition que de la performance de genre ont été théorisées comme un travail de reproduction et se sont inscrites dans le mouvement de grève des femmes dans d’autres contextes. À l’occasion de la grève sociale du 14 novembre 2014 en Italie, le Collectif SomMovimento NazioAnale mettait en avant les liens entre le travail du care, le travail domestique, la performance des genres et l’exploitation des corps sous le capitalisme dans son texte Grève sociale : grève du/des genre/s.

Les rôles de genre ne sont pas que deux : d’autres ont émergés [sic] et peut-être le premier à s’en rendre compte a été effectivement le capital. Dans la crise, beaucoup de femmes, gouines, trans* et tapettes semblent se trouver dans un paradoxe strident : très souvent discriminé*s et invisibilisé*s, quand elles ne sont pas exclu*s du marché du travail, iels se retrouvent à être recherché*s et exploité*s exactement en tant que femmes, ou queers. Cela montre clairement que la précarité, la méritocratie et les critères de sélection, en plus d’être généralisés, sont aussi et surtout genrés. […] En tant que gays, gouines, trans*, queers et personnes qui ont un état relationnel inclassifiable par rapport aux modèles de la « famille », on suppose que nous avons des liens qui nous font dérailler du dévouement au travail, alors qu’il nous est demandé de plus en plus d’extraire de la plus-value de nos réseaux de relations pour ensuite l’offrir à l’entreprise. En tant que trans*, nous sommes encore exclu*s du travail ou inclu*s dans des rôles hypersexualisés14.

Lou Hanna, militante trans et chercheuse indépendante, quant à elle, revendique la transition comme un travail et va même jusqu’à revendiquer un salaire pour celle-ci. Tout comme nous, cette dernière est critique de l’injonction à la représentation qui sera toujours appropriée par le capital « pour imposer un certain modèle de la personne trans*, à savoir blanche, bourgeoise et dont le parcours reste « classique » et correspond aux normes de féminité et de masculinité hégémoniques »15. La perspective du travail quant à elle permet de :

revendiquer la nécessité politique de ne plus dépendre du corps psychiatrique, médical, judiciaire papa-patron et par conséquent, comme l’écrit très justement Sam Bourcier dans Homo Inc. Orporated, cette revendication devrait être le point de départ pour « refuser le travail et contrer les divisions inhérentes à l’organisation capitaliste du travail », faire la grève du genre et expérimenter un autre rapport au genre en tant que construction et à long terme viser à son dépérissement16.

 Selon nous, ces perspectives sont intéressantes pour dépasser le repli sur l’identité de genre, car en s’inscrivant dans le mouvement de grève du genre, elles permettent de tisser des liens avec d’autres luttes de travailleuses.eurs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le mouvement trans au Québec, comme ailleurs, met de plus en plus en avant la revendication de la décriminalisation du travail du sexe17. Cette revendication parle des besoins matériels d’une communauté dont la part la plus privilégiée a délaissé ces revendications au profit de revendications plus libérales qui leur permettraient d’être inclus.es dans les institutions patriarcales et capitalistes comme le mariage.

Plus qu’une demande, une tentative d’organisation

Bien sûr, nous savons bien que des structures ouvertes ne sont pas suffisantes pour garantir une lutte réellement inclusive. On pourrait toujours souhaiter voir les intérêts des personnes racisées, queer/trans et handicapées mis davantage en avant, mais sans une volonté de s’organiser, ce travail finira toujours par être individualisant et tokenisant18. C’est pourquoi nous proposons plutôt de placer, en opposition à l’inclusivité en tant que demande, l’inclusivité en tant qu’organisation et prise en charge du discours.

En ce sens, prendre le contrôle de la lutte en s’organisant en de multiples comités autonomes, hors des instances basées sur la représentation, reste selon nous la meilleure façon de s’organiser selon nos intérêts, que ce soit à l’intérieur du mouvement étudiant ou ailleurs. C’est à travers l’organisation collective que nous pouvons créer des espaces de luttes fertiles, mais également contrer les dynamiques informelles, des Ostis de gros partys19 aux discussions privées, qui nous exposent encore une fois à davantage de violence. Alors que les organisateur.rices se sentent peu concerné.es par les conséquences de ces espaces informels, on constate qu’une grande part des énergies des personnes marginalisées sont souvent mises à répondre aux violences qui y sont vécues plutôt qu’à s’organiser, ce qui constitue un facteur d’épuisement. C’est pourquoi nous nous opposons fermement à ce que la lutte passe par de telles pratiques. Évidemment, les violences du quotidien, les traumas, la souffrance, la fatigue et le burn-out seront toujours des obstacles à l’organisation, surtout dans un contexte de marginalisation. Il n’est jamais facile de prendre la parole publiquement et c’est d’ailleurs pourquoi l’organisation devient nécessaire.

Alors que les appels à la grève des femmes se multiplient, organisons-nous pour que celle-ci soit aussi la grève du genre ; la grève des travailleuses migrantes contre les violences, la précarité et l’appropriation de leur travail par l’état colonial ; la grève des travailleuses du sexe pour la décriminalisation et l’inclusion de ces dernières dans les protections autrement garanties aux travailleur.euses salarié.es… la grève de toutes celles dont le travail gratuit n’est pas rendu assez visible par les mouvements existants. N’attendons pas que nos revendications et notre représentation soient prises en charge par d’autres, car l’inclusion de nos espaces d’organisation et notre représentation dans le discours ne sera jamais mieux garantie que par nous-mêmes.

Ne nous représentez pas, on s’en charge !