Lors des mobilisations étudiantes du printemps 2012, au Québec, l’une des tâches de Geneviève, étudiante en sociologie à l’UQAM, était de s’assurer que le libellé des propositions de grève exclue systématiquement les stages*. On se débarrasserait ainsi des « matantes » qui ne manqueraient pas de se présenter en bloc à leur assemblée générale, attendant impatiemment, les bras croisés et muettes, le moment où elles pourraient lever la main d’un seul geste pour s’opposer à la grève. Longtemps, nous avons nous aussi été exaspérées de voir débarquer dans les assemblées de grève ce bloc monolithique d’apprenties techniciennes, visiblement peu intéressées par les revendications relatives à l’accessibilité scolaire.

C’est qu’il en faut, du temps et de l’énergie, pour préparer une grève. Des heures, des semaines, des mois. Il faut qu’une importante quantité de travail ait été accomplie dans l’ombre avant qu’une proposition puisse être défendue en assemblée générale, avant qu’un·e porte-parole charismatique puisse déclamer son premier discours, avant que soit organisée une ostie de grosse manif… On met en avant l’idée que dans « grève », il y a « rêve », et on cache toutes les dynamiques internes au mouvement. En faisant l’apologie de la grève, on ne parle pas des rapports de domination et de la violence de nos collègues masculins[1]. Nos souffrances, on les ravale parce qu’on croit pouvoir mener nos luttes à terme et qu’on croit sincèrement que la grève est un pas vers l’émancipation collective. On se convainc qu’on participe à un mouvement qui dépasse nos intérêts immédiats. Mais ça ne suffit pas toujours. D’autres se mobilisent massivement contre la grève avec un seul argument : « Oui, mais mon stage ? » Et tout s’effondre. Épuisées, amères, il nous est difficile de ne pas mettre toutes les oppositions dans le même panier : les gens en stage, les pas parlables, les contre la grève, les gens déjà un peu des travailleur·se·s, presque plus étudiant·e·s, les parents endetté·e·s jusqu’au cou, les personnes immigrées qui ont dû reprendre toute leur formation…

C’est au fil des années que nous avons compris que le mépris manifesté par le mouvement à l’égard des étudiant·e·s dans les disciplines professionnelles et techniques se nourrissait à la même source que celui qu’il conservait à notre égard, nous, les femmes, étudiantes et militantes. Il nous en a fallu, du temps, pour comprendre que de servir les grèves des hommes ne nous permettrait jamais de nous émanciper comme nous le souhaitions. Que ce n’est pas pour nous que ces mobilisations hors du commun ouvraient de nouveaux possibles.

La prochaine grève sera une grève des femmes, ou elle ne sera pas.

Ras-le-bol d’être bénévole !

C’est vrai, la population étudiante issue des programmes comportant des stages obligatoires n’a en définitive jamais été à l’avant-garde du mouvement étudiant. Les étudiantes en soins infirmiers, en éducation à l’enfance, en enseignement ou en travail social ont souvent été considérées comme un bloc uni, réactionnaire et réfractaire aux mobilisations étudiantes. Mais, à l’automne 2016, alors que la gauche étudiante était encore dans son état d’apathie post-Printemps 2015[2], il y a eu la grève des internes en psychologie[3]. Dans l’ensemble des universités du Québec, un nombre important de doctorant·e·s en psychologie ont déclaré leur « ras-le-bol d’être bénévole[4] », refusant de compléter les 1600 heures que représente l’internat et exigeant que ces heures de travail soient payées. Profitant d’une conjoncture particulière, cette grève de trois mois s’est soldée par une relative victoire pour les stagiaires, soit l’obtention d’une bourse en guise de compensation. Cette « victoire » — entre guillemets parce qu’il reste encore 750 heures de stage impayées — pave la voie pour d’autres domaines d’études dans lesquels on exige aussi que soient complétées des centaines d’heures de stage gratuitement[5].

Loin de vouloir entraîner un mouvement plus large, la Fédération interuniversitaire des doctorant·e·s en psychologie (FIDEP), qui menait cette bataille des stages, s’est efforcée de mettre en lumière les particularités de l’internat en psychologie qui en justifiaient la rémunération, en opposition aux stages obligatoires dans d’autres disciplines. Mais, contre la volonté de l’organisation, la campagne a tout de même permis de soulever d’importantes questions. En souhaitant justifier leur rémunération, les futur·e·s psychologues ont démontré que la charge de travail qui leur est confiée est aussi importante que celle des internes en médecine, remettant ainsi en question la hiérarchisation des domaines d’études. En effet, comment expliquer le fait que les stages dans des domaines comme la médecine, le droit ou le génie sont majoritairement rémunérés — et ce, avec la contribution de fonds publics —, alors que les stages dans des domaines comme le travail social, l’enseignement et les soins infirmiers ne le sont pas ? Pour les militant·e·s des Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE), la division genrée du travail apparaît comme une réponse évidente à cette question.

C’est donc pour profiter de cette conjoncture et proposer une nouvelle voie au mouvement étudiant que les militant·e·s des CUTE s’organisent, depuis la rentrée 2016, en comités autonomes dans les universités et les cégeps pour réclamer la rémunération des stages et, plus largement, la reconnaissance des études en tant que travail. Ces groupes défendent, entre autres, la grève générale des stagiaires comme moyen de pression pour obtenir gain de cause. En s’inspirant des campagnes internationales du salaire au travail ménager[6] et de Wages for Students[7], toutes deux menées dans les années 1970, les comités reprennent la thèse d’une hiérarchisation du travail dit productif « d’hommes », et donc rémunéré, et du travail dit reproductif, donc gratuit ou « de femmes » — thèse que les comités appliquent aux différents domaines d’études.

En effet, l’analyse féministe permet d’expliquer à la fois que les stages dans les domaines traditionnellement féminins, liés aux soins et à l’éducation, sont toujours accomplis gratuitement et que ceux relevant des domaines traditionnellement masculins sont bien souvent rémunérés. On observe ainsi une hiérarchisation des différents domaines d’études qui concorde avec la valeur attribuée au travail accompli dans leur cadre. Cette séparation entre les emplois dits d’hommes et de femmes, la naturalisation des compétences des femmes et la négation de la valeur de leur travail sont toutes des éléments essentiels à notre analyse. C’est dans cette perspective que les CUTE ont lancé un appel à la grève des stages le 16 février 2017, en inscrivant la campagne dans le mouvement international de grèves des femmes[8]. Pour l’occasion, près de 25 000 étudiant·e·s étaient en grève pour manifester en marge du Rendez-vous national de la main-d’œuvre à Québec[9]. Parmi ces personnes, plusieurs étaient membres de programmes historiquement moins actifs dans les mobilisations.

Ainsi, sans nier la pertinence de la lutte pour la gratuité scolaire, les militant·e·s des CUTE vont plus loin en proposant de repolitiser la question du travail dans le cadre des études, élément graduellement mis de côté par le mouvement étudiant depuis le début des années 1970. Au cours des dernières décennies, le mouvement étudiant a plutôt développé un discours abstrait sur la prétendue indépendance de l’éducation par rapport au phénomène général de la marchandisation. On a présenté l’école comme un lieu d’émancipation où les étudiant·e·s sont guidé·e·s par un amour désintéressé de la connaissance. Pourtant, ce discours au service d’une classe particulière de jeunes aisé·e·s financièrement est peu représentatif de la réalité des programmes techniques ou professionnels.

La distinction entre diplômé·e·s et étudiant·e·s ne tient finalement qu’à quelques épreuves et à une certification institutionnelle, ce qui justifie la non-rémunération de ces dernier·ère·s. En stage, cette injustice est flagrante : planifier et piloter des séquences d’enseignement, soigner des patient·e·s, mener à bien des interventions, organiser des expositions, développer un système d’archivage ou remplacer un·e collègue malade sont autant de tâches effectuées gratuitement en stage qui seraient payées dans le cadre d’un emploi. Le contexte des compressions budgétaires des dernières années dans le secteur de l’éducation, des arts et des services sociaux est également propice à l’augmentation des stages obligatoires pendant les études, et même après l’obtention d’un diplôme ou d’une certification. En effet, alors que les emplois à temps plein et bien rémunérés se font rares, de plus en plus d’étudiant·e·s effectuent un stage non rémunéré après leurs études. En cumulant les lignes de leur curriculum vitae, certain·e·s espèrent être remarqué·e·s, puis choisi·e·s par un employeur. Selon la Canadian Intern Association, au Canada, on parle d’environ 200 000 stages non rémunérés complétés chaque année dans le cadre d’une formation, et de plus de 300 000 après la fin des études[10]. Dans certaines organisations, on constate même que la main-d’œuvre se voit remplacée par des stagiaires non rémunéré·e·s.

« Renoncez à vos salaires ! » 

C’est la réplique qu’a servie Silvia Federici[11] aux professeur·e·s qui s’opposent au salaire étudiant lors d’une conférence donnée à Montréal et, du même coup, aux critiques selon lesquelles un tel salaire aggraverait la marchandisation du savoir et des institutions scolaires. Il n’y a rien de surprenant dans ces oppositions, puisque la campagne des CUTE s’inscrit en rupture avec le principe dominant du mouvement étudiant québécois qui, parce qu’il entretient un rapport nostalgique à l’institution scolaire, tend à évacuer toute critique à l’égard du mécanisme de reproduction sociale que constitue l’éducation[12]. La militante féministe a ajouté que la non-reconnaissance de la valeur productive du travail étudiant ne fait que renforcer le rapport hiérarchique maître-élève et perpétuer l’exploitation des étudiant·e·s. En refusant de se mobiliser en faveur des stages rémunérés et, plus largement, d’un salaire étudiant, ces oppositions remettent le fardeau de la lutte entre les mains des personnes qui ont le moins de pouvoir dans l’institution : les étudiant·e·s.

Pourtant, l’obtention d’un salaire n’est pas le seul critère qui définit un rapport marchandisé. Ce n’est certainement pas la rémunération des étudiant·e·s qui instaurerait une conception consumériste dans le domaine de l’éducation, car celle-ci est déjà bien en selle, que ce soit par la compétition entre les établissements d’enseignement, par le rapport clientéliste entre ces derniers et les étudiant·e·s, par les campagnes publicitaires ou par les frais de scolarité exorbitants. L’absence d’un salaire pour les étudiant·e·s n’a d’ailleurs pas empêché l’arrimage, toujours plus serré, des formations aux besoins du marché de l’emploi. Au contraire, l’éducation au Québec poursuit ces visées depuis la création des cégeps et des différentes composantes de l’Université du Québec dans les années 1960. La démocratisation de l’école proposée dans le rapport Parent, symbole de la Révolution tranquille sacralisée au printemps 2012, visait notamment à adapter le système d’éducation aux développements technologiques et industriels ainsi qu’aux besoins grandissants d’une main-d’œuvre spécialisée. Pas étonnant que ce soit dans ce contexte qu’a émergé la revendication d’un salaire pour les études à l’Union générale des étudiants du Québec. Du côté de l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal (AGEUM), on a réclamé le « présalaire » et le statut de « jeunes travailleurs intellectuels » en s’inspirant de la Charte de Grenoble de l’Union nationale des étudiants français[13] (UNEF).

Aux États-Unis, la campagne Wages for Students (1975) a lancé le débat sur la problématique du travail des étudiant·e·s en le considérant comme une extension de la sphère reproductive. Cette proposition a été reprise en Ontario, où la question du salaire étudiant est apparue en 1974, avec le Struggle Against Work Collective (SAWC) et la publication du manifeste Wages for Homework[14] (1976). Dans les deux cas, l’école est présentée comme un lieu de dressage, au sein duquel les étudiant·e·s doivent s’endetter parce qu’on refuse de reconnaître la valeur de leur travail. Observer, décrire, analyser, classer et recommander constituent des compétences transversales applicables à toutes les formes d’emploi — qualifiés ou non —, mais elles sont invisibilisées sous prétexte que les étudiant·e·s sont toujours en apprentissage. Les militant·e·s ont également critiqué la transformation des universités — désignée plus tard comme la néolibéralisation de celles-ci — impulsée par l’État qui a servi, d’une part, à responsabiliser financièrement les étudiant·e·s en les considérant comme client·e·s ou entrepreneur·e·s de leur vie et, d’autre part, à former une main-d’œuvre au service du marché.

La revendication portée par les CUTE d’un salaire étudiant universel permet donc d’actualiser ce qu’affirmaient déjà plusieurs collectifs d’étudiant·e·s et de ménagères féministes des années 1970 en Italie, en Angleterre, aux États-Unis et au Canada, ainsi que certaines propositions du syndicalisme étudiant en France et au Canada dès 1946, année d’adoption de la Charte de Grenoble. Du point de vue symbolique, l’attribution d’un salaire supprime l’aspect normalisé de l’exploitation du travail étudiant et, du même coup, permet de politiser les conditions dans lesquelles ce travail est effectué. Il constitue donc un moyen de le rendre visible, ce qui est un premier pas vers la reconnaissance. Du point de vue matériel, l’obtention d’un salaire étudiant permettrait, pour bien des individus, de se sortir de la pauvreté et de situations de dépendance vis-à-vis de leurs parents, de leur conjoint·e ou d’une institution bancaire. Elle diminuerait également la situation de dépendance des étudiant·e·s à l’égard des professeur·e·s, et ce, particulièrement à l’université. Par exemple, le corps professoral signe les lettres de recommandation pour les candidatures de bourses, pour les demandes d’admission aux cycles supérieurs ou pour les milieux de stage, attribue les emplois étudiants, en plus de sanctionner les évaluations. Force est d’admettre que tou·te·s les étudiant·e·s n’ont pas un accès égal aux ressources que les professeur·e·s distribuent selon leurs préférences. Cette inégalité instaure un rapport de pouvoir particulièrement important entre professeur.e.s et étudiant·e·s, ce qui, entre autres calamités, ouvre la porte à des situations de harcèlement et de violence comme on en voit encore trop souvent se produire aujourd’hui.

Une éducation à l’exploitation

Ni la conception néolibérale, qui voit les étudiant·e·s comme des client·e·s, ni la conception humaniste, qui les perçoit comme des citoyen·ne·s dont il faut former l’esprit critique, ne permettent d’expliquer les raisons pour lesquelles les étudiant·e·s se retrouvent aujourd’hui dans les cégeps et les universités. Qu’on prenne plaisir ou non à le reconnaître, à l’heure actuelle, faire des études postsecondaires relève davantage d’une obligation que d’une préférence individuelle, car plus des deux tiers des emplois sur le marché exigent un diplôme d’études postsecondaires[15]. Loin d’être un choix libre et indépendant de toutes contraintes, l’école est plutôt une institution qui contribue à reproduire tant la classe des patron·es que celle des subalternes. Ainsi, elle peut être un lieu de culture et d’émancipation pour une certaine catégorie de la population étudiante, une jeunesse privilégiée qui trouve dans les études le renforcement de son identité et de sa position sociale, tandis que pour d’autres, il s’agit d’un lieu où les apprentissages et les évaluations exacerbent leur sentiment d’infériorité.

La tendance dominante actuelle au sein de la gauche étudiante s’obstine à concevoir l’éducation comme une activité absolument désintéressée sur le plan économique. C’est pourtant une question qui ne se pose même pas pour la plupart des étudiant·e·s, qui doivent s’endetter et multiplier les emplois précaires afin de compléter leur formation. Ces sacrifices ne garantissent pas pour autant que la détention d’un diplôme mènera à l’obtention d’un travail décent. Néanmoins, les étudiant·e·s ont intériorisé le discours du « prix à payer » pour gagner leur vie, espérant ainsi améliorer leurs conditions d’existence. Sous cet angle, le seul désir d’apprendre ne permet pas de justifier qu’ils et elles acceptent de se plier aux importantes contraintes financières et évaluatives de l’éducation.

On peut aussi réfléchir à la façon dont l’école et les stages contribuent à faire accepter l’inacceptable — car il s’agit bien de situations inacceptables lorsqu’on exige d’une personne qu’elle occupe gratuitement un poste à temps plein, pour lequel elle doit en plus payer les frais de scolarité tout en remplissant les exigences des cours, et cela sans omettre de répondre à ses besoins, et souvent à ceux de ses proches. Pour légitimer le tout, un discours propre à chaque discipline est développé et véhiculé dans les départements, puis intériorisé par les stagiaires. Dans les domaines du care, on justifie la non-rémunération par la propension prétendument naturelle des femmes à vouloir aider par « vocation ». Dans le domaine de la culture, ce qui est valorisé, c’est l’expérience, la possibilité de se faire des contacts et de se faire connaître; les occasions de stages passent donc pour des privilèges. Dans tous les cas, exiger un salaire serait injustifié.

Sans conteste, on est loin de l’image de l’étudiant·e indiscipliné·e, irresponsable, qui laisse ses désirs l’emporter sur ses besoins, ou de l’idée de liberté qu’on associe aux années d’études et que l’obtention d’un salaire viendrait corrompre. Non. Contrairement à ce que le précepteur du petit Émile prétendait dans l’ouvrage éponyme de Rousseau, la « plus utile règle de l’éducation » n’est pas de perdre son temps[16]. Nous sommes à une époque où le travail est organisé et divisé par projets, avec des objectifs et des échéances imposées, et tout cela est vrai autant pour Sophie, travailleuse autonome, que pour Émile, fonctionnaire. Les consignes de réalisation de travaux académiques prennent exactement la même forme que les tâches exécutées dans le cadre du travail salarié, même dans les arts et les sciences humaines. C’est à cette discipline que nous habitue l’école et, au final, c’est à la population étudiante que revient le fardeau de trouver les clés de son émancipation.

Un salaire contre l’école

L’obtention d’un salaire pour les études n’est pas une fin en soi mais un point de départ. Les conditions de travail actuelles des salariées dans des domaines traditionnellement féminins laissent présager que l’obtention d’un salaire étudiant ne sera pas suffisante pour reconnaître l’ensemble du travail gratuit qui est effectué dans le cadre scolaire, ni pour mettre fin aux rapports de domination et à la violence qui y est inhérente, tout comme il ne permettra pas de renverser le processus de marchandisation de l’éducation. Mais, lorsque des opposant·e·s prétendent qu’un salaire pour les études contribuerait à réduire encore plus le temps libéré des rapports marchands, on ne peut s’empêcher d’y voir une image tronquée de la liberté, invisibilisant le travail gratuit de millions de travailleuses et de travailleurs.

En effet, en présentant l’école comme un lieu émancipateur, on adhère au discours libéral qui prône l’épanouissement personnel, l’ambition et l’accomplissement, mais qui néglige et méprise les conditions matérielles de satisfaction des besoins. Au contraire, ce n’est ni l’espace académique ni les connaissances qui y sont transmises qui ont un potentiel émancipateur, mais ce qu’on fait de ces connaissances et quelle position on adopte en regard des doctrines idéologiques transmises par l’école. Il ne suffit pas d’assister à ses cours ni même d’exceller pour apprendre : l’essentiel du travail, tout comme le fardeau de l’émancipation, revient à l’étudiant·e. Ainsi, il n’y a aucun intérêt pour nous — mais beaucoup d’intérêt pour les employeur·se·s et les administrations scolaires — à préserver l’éducation dans sa forme actuelle. Il est donc nécessaire d’exiger de réduire le temps de travail gratuit, et ce, dans toutes les sphères de la vie. Le plaisir, inhérent au désir d’apprendre, est étouffé par les conditions de travail de la population étudiante, qui tuent dans l’œuf toute possibilité d’émancipation. Ce n’est qu’en considérant la condition étudiante telle qu’elle est, c’est-à-dire accaparée par la misère, que l’on peut commencer à s’organiser pour transformer l’éducation et l’ordre actuel de la société[17].

La revendication d’un salaire pour les études devient en quelque sorte l’expression d’un désir « radical », exposant une volonté de changement total, qu’on ne peut réduire à une stricte revendication réformiste. Il constitue un premier pas, symbolique et matériel, dans la lutte pour l’amélioration des conditions des étudiant·e·s et l’abolition du travail gratuit. C’est donc un point de départ complètement différent de celui des grèves précédentes, une grève initiée par les femmes et les personnes invisibilisé·e·s du mouvement étudiant. Une grève reposant sur une analyse féministe qui permet de lier la condition des étudiant·e·s à celle de toutes les travailleuses invisibles. La prochaine grève sera une grève des femmes ou ne sera pas. Et la prochaine grève des femmes sera une grève des stages !

 

Bibliographie

Des salaires pour les étudiants, 1975, http://myreader.toile-libre.org/uploads/My_59192a811e3e1.pdf.

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Merteuil, Morgane, « Pour un féminisme de la totalité », Inter-zones, 17 juin 2017, http://inter-zones.org/article/pour-un-feminisme-de-la-totalite.

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Porte, Emmanuel, « Reconnaître le travail étudiant par le salaire? La revendication de l’allocation d’études », Mouvements, no 73, 2013, https://www.cairn.info/revue-mouvements-2013-1-page-91.htm

Radio-Canada, « Une salle d’attente symbolique pour les doctorants en psychologie», Radio-Canada, 6 octobre 2016, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/807230/doctorants-psychologie-manifestation-internat-remuneration.

Rousseau, Jean-Jacques, Émile ou De l’éducation, Paris, Garnier, 1961, 664 p.

Toupin, Louise, Le salaire au travail ménager : chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977), Montréal, Remue-ménage, 2014, 452 p.

Tremblay-Fournier, Camille, « La grève étudiante pour les “nulles” », Je suis féministe, 21 novembre 2013, https://jesuisfeministe.com/2013/11/21/la-greve-etudiante-pour-les-nulles/.

[1] Camille Tremblay-Fournier, « La grève étudiante pour les “nulles” », Je suis féministe, 21 novembre 2013, https://jesuisfeministe.com/2013/11/21/la-greve-etudiante-pour-les-nulles/.

[2] Après s’être imposée dans le paysage politique québécois, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) s’est vue désertée par les militant·e·s déçu·e·s des retombées dudit « Printemps érable ». Devant le constat que l’ASSÉ n’était plus le véhicule de changements et de luttes sociales qu’elle s’était proposé d’être depuis sa fondation, des militant·e·s du Printemps 2015 se sont organisé·e·s en comités autonomes afin de mener une grève étudiante qui dépasserait les intérêts corporatistes. Mettant de l’avant l’opposition aux politiques d’austérité et aux hydrocarbures, la volonté d’inscrire la grève dans un mouvement social qui déborde les murs des cégeps et des universités s’est heurtée au mépris de la société qui sommait les étudiant·e·s de retourner à leurs crayons au lieu de se mêler de choses qui, après tout, « ne les concernaient pas ».

[3] Cette grève des stages a été orchestrée par la Fédération interuniversitaire des doctorant·e·s en psychologie (FIDEP).

[4] Slogan inscrit sur une pancarte lors de la Salle d’attente symbolique organisée par la FIDEP devant les bureaux montréalais du ministre de la Santé Gaétan Barrette. Radio-Canada, « Une salle d’attente symbolique pour les doctorants en psychologie», Radio-Canada, 6 octobre 2016, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/807230/doctorants-psychologie-manifestation-internat-remuneration.

[5] C’est le cas notamment des associations étudiantes en éducation qui participent depuis 2014 à la Campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiant·e·s d’éducation en stage (la CRAIES).

[6] Pour connaître l’histoire de ce mouvement féministe, voir Louise Toupin, Le salaire au travail ménager : chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977), Montréal, Remue-ménage, 2014, 452 p.

[7] Des salaires pour les étudiants, 1975, http://myreader.toile-libre.org/uploads/My_59192a811e3e1.pdf.

[8] En 2017, à la suite d’une série de grèves des femmes, des groupes féministes provenant de diverses régions du monde (Pologne, Islande, Argentine, Corée du Sud) se concertent sous la bannière International Women’s Strike et lancent un appel à une journée de grève des femmes à l’occasion du 8 mars, Journée internationale des femmes. Voir International Woman Strike / Paro internacional de mujeres, http://parodemujeres.com/.

[9] Le Rendez-vous national de la main-d’œuvre regroupait des représentant·e·s patronaux·les et syndicaux·les, des acteur·rice·s du développement économique, des acteur·rice·s des milieux communautaires et de l’éducation, des représentant·es des communautés autochtones et inuites ainsi que des délégations gouvernementales afin de discuter des enjeux liés à l’emploi, au développement économique et à la formation de la main-d’œuvre.

[10] Canadian Intern Association, The Canadian Intern Rights Guide, 2016, p. 8, http://internassociation.ca/tempcia/wp-content/uploads/2016/03/CanadianInternRightsGuide.pdf.

[11] Silvia Federici est une théoricienne et militante italo-américaine qui s’est activement impliquée dans la campagne internationale du salaire au travail ménager durant les années 1970. Elle a, depuis, publié les ouvrages Caliban et la sorcière (2014) et Point Zero : propagation de la révolution (2016). Federici a donné une conférence organisée par les militant·e·s des CUTE le l8 mai 2017 intitulée « Un salaire pour le travail gratuit : perspective révolutionnaire ».

[12] À l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), par exemple, la notion de « travailleur intellectuel » a été mise de côté au fil des années au profit de celle de « jeunes citoyen·ne·s que le modèle néolibéral de l’éducation soumet à la logique marchande du travail », idéalisant du même coup les principes d’une éducation humaniste. (L’ASSÉ, « Marchandisation de l’éducation : de l’éducation humaniste à l’éducation marchande », L’Ultimatum, 4 décembre 2012, http://www.asse-solidarite.qc.ca/ultimatum/marchandisation-de-leducation-de-leducation-humaniste-a-leducation-marchande/).

[13] À noter cependant que la rhétorique productiviste de l’AGEUM et de l’UNEF est peu comparable à l’analyse des CUTE, qui conçoit les études comme un travail de reproduction et qui s’attaque au pouvoir inhérent aux rapports profs-étudiant·e·s. Pour comprendre les débats de l’époque, voir Emmanuel Porte, « Reconnaître le travail étudiant par le salaire? La revendication de l’allocation d’études », Mouvements, no 73, 2013, https://www.cairn.info/revue-mouvements-2013-1-page-91.htm.

[14] Tim Grant, « Student as Worker: Wages for Homework », The Chevron, 5 mars 1976, p. 14-15, http://zerowork.org/GrantWagesForHomework.html.

[15] Ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada, Système de projections des professions du Canada : projections 2015. La demande de main-d’œuvre 2015-2024, 2015, http://occupations.esdc.gc.ca/sppc-cops/l.3bd.2t.1ilshtml@-fra.jsp?lid=64&fid=50&lang=fr.

[16] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, Paris, Garnier, 1961, 664 p.

[17] Nous nous inspirons largement des réflexions de Morgane Merteuil, qui aborde cette opposition entre désir et aliénation pour penser l’émancipation des travailleuses du sexe (« Pour un féminisme de la totalité », Inter-Zones, 17 juin 2017, http://inter-zones.org/article/pour-un-feminisme-de-la-totalite).