Dans cet entretien, Thibaut Bizien nous fait découvrir les actions de son l’association Caledoclean et à travers elle les enjeux écologiques de la Nouvelle-Calédonie : pollutions, équilibres et déséquilibres des écosystèmes, etc. Il revient aussi sur un enjeu de taille pour l’avenir de l’archipel : l’autonomie alimentaire.

Quels sont aujourd’hui les enjeux d’environnentaux en Nouvelle-Calédonie ?

Quand on ne connait pas sa situation géographique, cela peut prendre du temps de rechercher la Nouvelle Calédonie sur un planisphère. Pourtant malgré sa faible superficie, cette petite île du Pacifique où je suis né présente une biodiversité exceptionnelle et un taux d’endémisme global estimé à 75%. De la chaîne de montagnes en passant par les mangroves et le lagon, la grande variété des milieux qui constituent l’île offre d’incroyables paysages terrestres et maritimes. La Nouvelle Calédonie est vingt fois moins grande que la France et elle abrite presque autant d’espèces végétales terrestres dont les trois quarts sont uniques spécifiques au territoire. Elle abrite notamment des habitats remarquables comme le maquis minier ou encore la forêt sèche, forêt la plus menacée au monde présentant des espèces en voie d’extinction. Son lagon, quant à lui, est considéré comme un des plus beaux de la planète d’où son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est un véritable joyau, il est protégé par la plus importante barrière de corail continue sur plus de 1600 km qui offre également une défense contre les phénomènes climatiques. Cette richesse fait notre fierté et elle s’accompagne d’une importante responsabilité, celle de préserver notre héritage pour le transmettre aux générations futures.

Quels sont les objectifs de l’association Caledoclean ?

C’est une association centrée sur la problématique de la gestion des déchets. Comme beaucoup de Calédonien·nes, j’ignorais complètement la valeur de ce patrimoine naturel, p. Pourtant en 2012 j’ai décidé de m’investir pour mon pays en créant avec un groupe d’ami·es notre association Caledoclean.

Jeunes diplômé·es actif·ves ou toujours en formation, nous étions cinq ami·es bien motivé·s à nous investir pour le pays en nous inscrivant dans une dynamique de bénévolat et de don inconditionnel.

Le projet est né d’un constat simple : le pays avait besoin d’un bon coup de nettoyage car la présence de nombreux détritus et des dépotoirs sauvages venait contraster la beauté de nos paysages. L’insularité entraînant l’importation de nombreux produits de consommation sur emballés qui génèrent une grande quantité de déchets qu’il faut parvenir à gérer. Il s’agissait pour nous à la fois de dépolluer nos terres et notre lagon mais aussi de récupérer les matières recyclables pour les envoyer aux entreprises locales.

Nous avons donc commencé par nous regrouper les weekends et pendant notre temps libre pour mener des actions de nettoyage répétées sur Nouméa, la capitale. Au début, nous allions sur les sites de dépôts sauvages en bord de route, sur les plages, les mangroves et les lieux touristiques pour récolter les canettes aluminium en grand nombre.

Nous les revendions auprès d’Ecotrans, une entreprise de collecte des déchets qui œuvre pour le tri sélectif et le recyclage des matières. C’était la première entreprise partenaire de notre organisation, qui nous rachetait les canettes à bon prix afin qu’on constitue une trésorerie. Après quelques mois de travail et le soutien financier d’Ecotrans, nous étions prêt·es à élargir le champ d’action de notre association en récoltant le maximum de matières recyclables.

Pour nous c’était très simple, on trouvait un site pollué, on y allait entre potes accompagné·es des bénévoles recruté·es sur les réseaux sociaux et on se motivait pour faire place nette. Le protocole est toujours le même depuis, on prend deux types de sacs : des sacs en fibre pour les matières recyclables et des sacs plastique pour le tout-venant, non recyclable. Au fur à et mesure que les filières de déchets se mettaient en place, nous avons progressivement multiplié les partenariats avec les entreprises locales durablement installées. Parmi elles, nous collaborons avec la Calédonienne des Services Publics (CSP) en charge des déchetteries, du suivi et du traitements des déchets et des matières recyclables mais aussi les Etablissement Métallurgiques Calédoniens (EMC) qui recyclent les métaux ferreux, non ferreux et certains déchets dangereux comme les batteries usagées.

En nous mettant à disposition des bennes de collecte gratuitement sur nos actions, elles nous ont permis de travailler plus efficacement et de mener des projets de plus grande ampleur, jusqu’à ramasser plusieurs tonnes de matière par opération. Elles demeurent engagées à nos côtés afin de soutenir nos actions bénévoles en faveur de l’environnement et de la propreté du pays. Grâce à cet important réseau de partenaires et bénévoles, nous travaillons sur l’ensemble de la Province Sud de la Nouvelle Calédonie sur laquelle nous avons déjà pu organiser plus d’une centaine d’opérations de nettoyage.

Au total, ce sont plus de 150 tonnes de déchets récoltées dont 120 tonnes de matières recyclables envoyés aux entreprises calédoniennes dont du plastique, du verre, du papier, des batteries/piles, pneus, huiles usagées, métaux ferreux/non ferreux, électroménager, matériel informatique et déchets dangereux.

Bien que pour certain·es ces opérations soient vaines car il reste toujours plus à nettoyer, nous avons confiance en nos actions et les nombreux impacts positifs qui en découlent. Outre le fait de dépolluer notre environnement, nous participons à l’économie du pays en soutenant les entreprises locales de recyclage qui donnent une seconde vie aux déchets qui jalonnent notre île.

Par cette action, nous luttons également contre le gaspillage de matières premières et contre les problèmes sanitaires qu’entrainent les amoncellements d’ordures encore trop fréquents.

Vous inscrivez votre démarche dans une perspective « éco-citoyenne ». Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Nous étions conscient·es que les dépotoirs sauvages récurrents ne seraient pas les meilleurs arguments pour recruter des bénévoles, nous avons donc décidé d’étendre le domaine d’activité de notre association dès notre première année d’existence. L’objectif était également de se rapprocher des autres acteurs et actrices, d’en apprendre plus sur le développement durable et bien sûr de développer un réseau. Nous nous sommes mis·es en lien avec d’autres ONG et associations du territoire afin de proposer notre soutien bénévole pour leurs actions et événements.

Grâce au WWF, Mocamana, l’Association de la Sauvegarde de la Nature et SOS Mangroves NCà elles, que nous avons pu en apprendre plus sur la biodiversité de notre pays et des menaces qui pèsent sur les différents milieux grâce au WWF, Mocamana, l’Association de la Sauvegarde de la Nature et SOS Mangroves NC. Auprès d’euxd’elles, nous avons pu travailler en pépinière, produire des plants et organiser de nombreuses actions de plantation afin de reboiser des milieux forestiers dégradés par l’activité humaine. Au total ce sont des milliers d’arbres de forêt sèche, maquis minier et mangroves que nos bénévoles ont planté pour restaurer et préserver notre patrimoine naturel.

Nous avons également eu l’occasion de découvrir une importante menace biologique : les espèces invasives végétales, plantes exotiques qui colonisent nos sites naturels. Pour la plupart, il s’agit d’espèces introduites en Nouvelle Calédonie qui pénètrent nos milieux naturels dégradés pour peu à peu remplacer les espèces natives initiales. Plus compétitives grâce à une croissance plus rapide, une forte reproduction ou encore une résistance particulière, elles finissent par se propager sur de larges zones pour former ce qu’on appelle des foyers d’invasion.

Nous avons pris connaissance et nous nous sommes formé·es aux moyens de lutte et nous avons organisé plus d’une soixantaine d’actions d’éradication en Province Sud pour détruire des foyers d’invasions et permettre la régénération naturelle de nos forêts.

Nous avons ensuite cherché les moyens de partager cette connaissance et de mobiliser la jeunesse de l’île autour des valeurs éco-citoyennes, autrement dit de s’inscrire dans un horizon de construction d’un avenir plus respectueux de la vie sous toutes ses formes. Depuis 2013, nous collaborons avec la Direction de la Protection Judiciaire de l’Enfance et de la Jeunesse (DPJEJ) pour accueillir des jeunes en réinsertion au sein de notre organisation. Jusqu’ici, nous avons accompagné plus de 200 jeunes au sein de Caledoclean dans le cadre de Mesures de Réparation Pénale (MRP) ou de Travaux Non Rémunérés (TNR). Il s’agit pour la plupart de jeunes mineur·es, parfois déscolarisé·es, ayant commis des délits et qui viennent racheter leur comportement par des actions en faveur de la collectivité. Au travers de leur expérience avec nous sur le terrain, nous leur transmettons des valeurs ecoéco-citoyennes et une image positive de notre pays et de ses richesses. Et surtout, nous valorisons le bénévolat et l’engagement pour participer à construire activement la société de demain.

Nous travaillons aussi avec les maisons de quartier, les établissements scolaires, les squats, les tribus et les associations culturelles et sportives, nous fédérons une large population autour de nos actions et des problématiques environnementales. Toujours dans le développement durable, nous sommes depuis deux ans les représentants officiels de l’opération « Les Bouchons d’Amour en Nouvelle Calédonie » en partenariat avec SOS Mangroves NC. Nous avons établi des points de collecte de bouchons plastiques sur l’ensemble du territoire pour ensuite les conditionner et les transmettre à une entreprise de recyclage. Une partie des bénéfices issus du traitement de la matière sont reversés à un fond de soutien au handicap que nous utilisons pour accompagner des projets handicap en local. Nous sommes donc également en contact avec les associations d’assistance aux personnes handicapées auxquelles nous apportons des aides financières grâce au recyclage du plastique.

Nous sommes toujours ouvert·es à de nouvelles expériences et cette année, par exemple, nous œuvrons à la mise en place d’une pépinière participative afin de produire nos propres plants destinés aux opérations de reboisement en milieu naturel. Avec une capacité de 800 arbres, cet outil devrait nous permettre d’agir en autonomie et en complémentarité avec les autres actrices et acteurs investi·es dans ce domaine.

Depuis la création de Caledoclean, ce travail a été accompli de manière bénévole et participative. Nous sommes aujourd’hui impliqué·es dans de nombreux projets collaboratifs qui nous poussent à envisager la professionnalisation de notre association pour disposer des moyens nécessaires à la bonne réalisation de nos missions.

Que vous a apporté cette expérience ?

Cette aventure humaine et associative m’a beaucoup appris sur la Nouvelle Calédonie, ses enjeux sociaux, environnementaux et sur la politique menée sur le territoire. Ce parcours m’a amené à me questionner sur la construction d’une société durable donc respectueuse de l’environnement. En œuvrant au départ à la sauvegarde du patrimoine naturel, j’ai pu constater les dégâts causés par l’activité humaine et nos comportements actuels et passés.

L’exploitation du Nickelnickel, l’or vert principale activité économique ancrée dans la culture du pays a largement contribuée à la dégradation des milieux terrestres et maritimes où elle est implantée. Les zones déforestées amènent à une désertification et une érosion des sols dans les rivières et le lagon avec des conséquences pour la faune, la flore et les récifs coralliens. Malgré les récentes stratégies de compensation, il faudra beaucoup de travail pour restaurer des zones qui ont vécu plusieurs décennies de production minière. Il est difficile d’imaginer une industrie minière et une métallurgie 100% respectueuse de l’environnement, mais il reste cependant des marges de progression considérables pour en faire une activité durable. Comme beaucoup je pense qu’il ne faut pas construire l’emploi d’aujourd’hui en hypothéquant l’avenir des générations futures. C’est d’ailleurs un comble pour une société capitaliste de détruire les ressources qu’elle exploite pour subsister.

Mais même si elle est très impactante et reste souvent pointée du doigt, la mine n’est pas la seule responsable de la détérioration de notre patrimoine naturel. D’autres pratiques sont engagées notamment quand on voit les incendies successifs qui ont ravagé les forêts : actuellement, il ne reste plus que 2% de la superficie de forêt sèche initialement présente sur l’île. Ce constat n’est pas propre à la Calédonie : globalement, le mode de fonctionnement des sociétés capitalistes a montré ses limites et c’est certainement ce qui a motivé notre projet associatif. Au travers de nos actions, nous œuvrons avant tout pour la protection et la préservation des milieux terrestres et maritimes dont notre survie dépend.

Comment vous inscrivez-vous dans les débats actuels sur le référendum ?

En tant que jeune calédonien investi pour mon pays, j’ai grandi au milieu du débat politique entre l’indépendance et le maintien dans la France. Dans ce cadre, j’estime aujourd’hui qu’il faut avant tout se questionner sur l’autonomie réelle du pays plutôt que sur l’indépendance.

La question de l’autonomie alimentaire est par exemple centrale alors qu’avec 15% d’autonomie alimentaire, la population calédonienne consomme en grande majorité des produits importés de l’étranger. En centrant notre activité économique sur le nickel, les autres secteurs d’emploi notamment le secteur agricole ont peu à peu été délaissés au profit de la mine.

Pourtant, l’agriculture et l’élevage constituent une part importante de l’histoire de l’ile et il est regrettable de constater qu’aujourd’hui notre production est très loin de couvrir notre consommation. Les produits locaux, issus majoritairement de l’agriculture conventionnelle, dépendent eux aussi de l’importation de semences et de pesticides des pays voisins. Cette forte dépendance aux importations pour les besoins alimentaires du pays est lourde de conséquences.

Tout d’abord au niveau politique puisque nous sommes rattaché·es au marché extérieur et donc plus vulnérables en cas de crise économique. Nous sommes d’autant plus fragiles que notre économie repose sur le secteur minier du Nickel nickel qui subit aujourd’hui une importante crise mondiale. Ensuite au niveau écologique puisque les importations engendrent une empreinte carbone importante et que les produits acheminés arrivant sur-emballés, ils produisent donc de nombreux déchets.

Enfin en terme de qualité de vie puisque nous sommes soumis·es à la fluctuation des prix et des stocks des pays étrangers. Par ailleurs les normes phytosanitaires ne sont pas homogènes dans tous les pays : Non non seulement certains fruits et légumes importés peuvent avoir été en contact de produits chimiques interdits sur notre territoire mais, de plus, ils sont de nouveau traités lorsqu’ils arrivent sur le territoire.

Pour nous, l’autonomie alimentaire est un enjeu important pour l’avenir de notre pays et son développement nécessite une société plus respectueuse de son environnement. Par nos actions de nettoyage et de recyclage, nous nous engageons à la dépollution des sols et des cours d’eau qui constituent la réserve de nourriture de la population. En travaillant à la préservation des mangroves urbaines et littorales, nous assurons la pérennité des stocks de poissons dans le lagon et les océans. Les mangroves sont de véritables piliers pour l’équilibre des écosystèmes marins : en effet outre les services écologiques qu’elles rendent, elles constituent un important lieu de ponte et une nurserie pour les poissons.

Toujours dans cette logique, avec nos membres et bénévoles, nous réalisons également des parcelles potagères et participons aux projets de jardins familiaux afin de promouvoir la souveraineté alimentaire. Aux côtés des autres acteur·rices du secteur, nous échangeons les semences reproductibles et les savoir-faire liés à l’agriculture responsable et respectueuse de la vie des sols.

Un autre enjeu important est celui de l’eau : les ressources s’amenuisent malheureusement chaque année. Il faudrait développer une solide production locale pour inverser cette tendance. Les captages d’eaux naturels de l’île subissent de fortes pressions environnementales et sont aujourd’hui très impactés par les incendies à répétition, l’activité minière et les espèces invasives. D’après une étude récente du WWF 90% de la surface totale des bassins versants alimentant le pays en eau potable sont dans un état dégradé dont 53% considérés comme très dégradés. Les incendies demeurent la principale menace pour les réserves en eau : chaque année entre 15 et 20. 000 hectares de végétation partent en fumée en Nouvelle-Calédonie soit environ 1% de la superficie totale de l’île.

Les forêts que nous détruisons à grands feux sont les structures indispensables à l’infiltration de l’eau dans les sols et donc au captage de la ressource. Il est nécessaire de les protéger et de travailler au reboisement des zones sinistrées si on veut de pérenniser la qualité de vie des calédonienCalédonien·nes. Deux tiers de nos forêts humides ont été réduites à néant et chaque action compte. Nous participons, avec d’autres acteurs associatifsassociations calédoniennes, à la lutte contre les incendies et au reboisement les des zones impactées par l’activité humaine et ses comportements irresponsables.

Encore une fois il ne s’agit pas que de restaurer la biodiversité ou la beauté des paysages, il en va de notre survie. L’environnement, on en profite, mais on en dépend avant tout. L’écologie et le développement durable sont aujourd’hui des principes nécessaires pour accompagner le territoire vers plus d’autonomie. A l’heure où notre pays gagne en souveraineté par le transfert des compétences, ces réalités nous rappellent qu’il reste encore beaucoup à faire pour l’autonomie et le développement du pays.

L’indépendance ne s’acquiert pas, elle se construit et en ce sens il est important de préparer une émancipation sur la base d’un confort de vie pour l’ensemble de la population. Le chemin est déjà bien entamé pour la construction de ce pays aux nombreuses richesses inexploitées, encore faut-il apprendre à les protéger, les préserver et pouvoir subvenir aux besoins de celles et ceux qui en profiteront demain.